EGLISE ORTHODOXE D'ESTONIE

Chapitre

Orthodoxie

 
 
 
 

Illustration d'un livre du 14ème siècle, évoque sur la même page des paroles de l'Ancien et du Nouveau Testament.

 

 

 

 

TRADITIONS AUTOUR DE NOEL EN EUROPE

1.- L'AVENT

Les longues nuits froides, de la fin de l'automne à l'hiver, faisaient naître les pires craintes dans un monde rural où mauvais temps, insectes, rongeurs, maladie étaient synonymes de famine. Aussi les croyances et superstitions anciennes visaient à conjurer ces menaces et s'assurer que les beaux jours reviendraient, que la lumière reprendrait le dessus, que la végétation renaîtrait, que les semis lèveraient dans les champs, que le bétail serait épargné par la maladie et que les enfants nombreux, garantiraient l'avenir. Sapin, fruits, bougies, guirlandes, bûches sont les vestiges des symboles de ces rites agraires associant culte solaire, culte de la fertilité et du renouveau et exorcisme des peurs nocturnes. La période de l'Avent, qui doit ses références à la religion chrétienne n'a pas totalement rompu avec ces traditions, au premier rang desquelles on trouve le chant.
Avec le retour des nuits noires et longues revenaient les peurs et croyances anciennes. Lors de Samain, la nuit du
31 octobre au 1er novembre, les Celtes fêtaient le retour de la saison froide. Ils ne connaissaient que deux saisons, la saison des mois "jaunes", dont le retour avait lieu la nuit du 30 avril au 1er mai, et la saison des mois "noirs". Cette nuit de Samain était réputée mettre en contact le monde des morts et des esprits et celui des vivants. La Toussaint, surtout le jour des morts, de même que la fête anglo-saxonne d'Halloween témoignent encore de ces craintes ancestrales.

Des tournées bienfaisantes
Lors d'Halloween, littéralement "veille de la Toussaint", les enfants américains vont frapper aux portes des maisons en faisant la quête et en menaçant " Trick or treat ! " (un bonbon sinon un mauvais tour). Aux seuils des maisons ou aux fenêtres, vacille une petite lumière placée dans une citrouille évidée et taillée de manière à évoquer une figure grimaçante. La présence du légume, fréquente dans d'autres tournées du moment révèle d'anciennes préoccupations agraires, tout comme les enfants, déguisés en sorcières, en squelettes, en fantômes, témoignent de ces peurs d'autrefois ; même si ces costumes amusent et que cette mise en scène ne fait que mettre en dérision une nuit qui n'est plus vraiment inquiétante. Ces coutumes, comme toutes celles qui s'attachent à ces nuits qui marquent cette période de l'hiver étaient autrefois investies des symboles des croyances anciennes, symboles solaires, rites de fertilité qui côtoyaient les peurs de la longue nuit d'hiver peuplées de personnages démoniaques. Christianisées, elles s'appellent maintenant "Saint-Martin", "Saint-Nicolas", ou "Sainte-Lucie".

Des tournées d'enfants, annonciatrices d'espoirs, y avaient leur place ; et leurs musiques, leurs comptines ou leurs chants traduisaient vœux et promesses. Ces tournées soudaient entre eux les enfants d'un même quartier ou d'un même village, et c'était l'occasion pour eux d'être reconnus des habitants. Cette véritable agrégation sociale était plus importante qu'elle n'en avait l'air. Le groupe était vu, autant qu'il était écouté. A côté de cette fonction sociale, les tournées avaient aussi un but magique et protecteur, comme les étrennes que l'on distribuait aux chanteurs pour les remercier.
Malheur à celui qui n'ouvrait pas sa porte : il s'assurait une année bien peu prospère ! Les enfants ne sont-ils pas les dépositaires de l'avenir ? On offrait aux petits quêteurs, pour le remercier, une poignée de noix, de noisettes ou une pomme. En échange, on se mettait l'avenir de son côté. Sans doute est-ce là l'une des origines des cadeaux que l'on aime toujours échanger la nuit de Noël au pied de l'arbre, même s'ils ont maintenant la forme de jouets. Ces nuits étaient marquées aussi par des défilés que l'on connaît encore dans certaines régions, avec des personnages grimaçants et bruyants tels les Pères Fouettards qui personnalisaient l'hiver, et d'autres, beaux et lumineux à l'image de Martin, Nicolas ou Lucie qui symbolisaient l'espoir des beaux jours, le retour de la lumière et de la paix. La vie agricole ralentissait avec le retour de l'hiver et les occupations étaient plus tournées vers les travaux domestiques. Les journées passaient plus lentement peut-être, mais elles n'étaient pas inoccupées pour autant. Il fallait réparer les outils, filer la laine... A partir de la Saint-Martin, on tuait le cochon, ce qui entraînait de joyeuses agapes en famille ou entre voisins. Cette fête d'abondance, comme celles qui terminent les moissons ou les vendanges, portait à la joie : on riait et on chantait autour des tables. En cette période plus tranquille, on prenait le temps de se réunir aux veillées. Tous y chantaient aussi. Ce n'était plus autour d'une table, mais auprès de la cheminée. Les plus vieux racontaient des histoires, des légendes entendues de leurs grands-parents ou d'édifiants souvenirs d'enfance. Ces moments de convivialité n'ont pas complètement disparu et ils marquent encore nos réunions familiales de ce moment de Noël.

Des tournées d'enfants ont toujours lieu dans beaucoup de pays de l'Avent jusqu'aux Rois. Par petits groupes, ils chantent la joie de Noël et leurs vœux dans de célèbres Christmas Carols en Grande-Bretagne ou en Amérique du Nord, à partir de la Saint-Thomas dit-on, le 21 décembre, ou des villancicos en Espagne, Weilnachtslieder en Allemagne ou en Autriche, Regolë en Hongrie, Colinde en Roumanie ou Kallenda en Grèce... Cette coutume est très répandue et partout, les enfants sont récompensés de friandises ou de piécettes qu'ils gardent ou distribuent au profit d'une bonne œuvre. Partout aussi, les injures et malédictions pleuvent sur ceux qui n'ouvrent pas leur porte. Ils sont accompagnés parfois d'un petit orchestre de guitares, tambourins et clochettes comme en Espagne, ou d'un seul joueur qui agite en mesure son instrument, tel l'ancien Rommelpot (pot à vacarme). Cet instrument rudimentaire consistait en un pot recouvert d'une vessie de porc et contenant un bâton qu'on faisait vibrer. Les enfants sont parfois déguisés en bergers ou en anges en présentant leurs cantiques ; ils peuvent également jouer des saynètes autour du thème de la Nativité, ou encore promener une simple étoile. Des tournées semblables ont lieu au moment du Nouvel An et des Rois, où les enfants sont alors déguisés en Mages.

La Saint-Nicolas. le 6 décembre
La fête de la Saint-Nicolas, célébrée le soir du 5 décembre et dans la journée du 6, est chère au cœur de bien des enfants dans le Nord et l'Est de la France, en Belgique, au Luxembourg, aux Pays-Bas, et dans certaines régions d'Allemagne, d'Autriche et de Suisse. Elle aussi engendre un scénario qui se renouvelle chaque année à leur grand plaisir. Saint Nicolas en personne leur rend visite. Mais la présence du Père Fouettard à ses côtés est inquiétante.
Pourtant, le bon évêque n'est pas originaire de ces régions germaniques. Comment expliquer que son culte ait pu gagner ainsi le cœur de tous ces petits étrangers ? Nicolas est en effet né au 3ème siècle loin de là, à Myre en Asie Mineure, et s'est illustré par de nombreux gestes de générosité au cours de sa vie. Certains appartiennent sans doute plus à la légende qu'à la réalité. La réputation de ce "pourvoyeur d'abondance" était grande et elle l'est restée ! On disait qu'il avait sauvé sa ville de la famine ainsi que d'autres, plus éloignées, qu'il avait rejointes au moyen d'un bateau chargé de vivres, alors que la nuit était déjà tombée. Par ailleurs, il est devenu le patron des marchands et des marins qu'il aurait à plusieurs reprises sauvés de la tempête. La ville maritime de Myre étant un passage connu en Méditerranée, la popularité du saint ne fit que s'étendre en Orient et en Occident. Il est aussi le patron des prisonniers, pour en avoir libéré plusieurs, et avec saint Yves, il partage le patronage des avocats. De plus, pour avoir doté trois jeunes filles pauvres que le père vouait à la débauche, en jetant trois nuits de suite des bourses d'or par la fenêtre, il est devenu le patron des fiancés. Mais son "miracle" le plus célèbre - et sans doute

légendaire - reproduit par de nombreux artistes, est celui d'avoir ressuscité "trois petits enfants qui s'en allaient glaner aux champs", qu'un méchant boucher avait découpés en morceaux et "mis au saloir comme pourceaux". Tout cela ne pouvait que rendre le bon évêque extrêmement populaire et s'il est l'un des saints les plus représentés dans l'iconographie religieuse, il l'est aussi dans les chansons. La fête de saint Nicolas fut célébrée le 6 décembre, date présumée de sa mort en 343. En 1087, des marchands italiens transportèrent les restes de l'évêque à Bari dans les Pouilles, afin de les substituer aux Turcs infidèles. A la fin du 11ème siècle, un pieux Lorrain déposa une phalange du saint à Port en Meurthe-et-Moselle, et cela permit à son culte de s'étendre en Europe. D'illustres pèlerins, dont Jeanne d'Arc et plusieurs rois de France, sont venus prier dans la "grande église" qu'on y construisit. Par les marchands de la Mer du Nord ou du Rhin, la dévotion pour le généreux personnage grandit encore et vint probablement couvrir d'autres coutumes pré-chrétiennes. Le bon évêque fut ainsi vénéré dans ces pays germaniques où l'ancienne religion obéissait à Odin, appelé aussi Wotan. Ce dieu Odin, chef des dieux germains, dieu fondateur, avait la particularité de se déplacer dans les airs sur son cheval à huit jambes, Sleipnir, en compagnie de deux corbeaux. Il était assimilé au redouté "Chasseur sauvage" qui conduisait, lors des nuits de tempête et pendant les douze jours, un bruyant attelage fait des Walkyries ses messagères, de Perchta, ancienne déesse de la Fécondité muée en démon, et d'une armée de morts. L'image du saint évêque habillé de rouge ou de violet, avec sa grande barbe blanche lui conférant sagesse et dignité, se superposa progressivement à celles du dieu et des personnifications prometteuses de certaines tournées d'hiver que l'on appelait "beaux masqués". La figure du Père Noël, qui tient beaucoup de lui, se dessine déjà. Nicolas fut tout naturellement affublé d'un vilain acolyte à la face noircie, criant, gesticulant et menaçant de ses fouets, image survivante des personnages laids des mêmes tournées hivernales. Ces deux sortes de masqués aux costumes si opposés symbolisaient la saison stérile et affreuse, ou au contraire le retour attendu des beaux jours. Dans les tournées suisses de l'Appenzell, les Sylvesterkläuse ("Nicolas de la Saint-Sylvestre") continuent de symboliser ces contrastes au moment du Nouvel An des calendriers grégorien (le 31 décembre) et julien (le 12 janvier). On prête parfois au Père Fouettard, appelé aussi Hans Trapp en Alsace, Knecht Ruprecht en Allemagne ou Krampus en Autriche, des origine récentes inspirées de certains personnages historiques. Pour d'autres, il ne serait qu'une invention pédagogique du 18ème siècle, pour faire peur aux écoliers. Qu'il existe pour faire peur, cela est certain, mais sa création est sûrement antérieure. Les croquemitaines, tel le boucher de la chanson, ont toujours été des figures très présentes dans l'éducation des enfants, dès leur plus jeune âge. Les deux personnages si opposés que sont saint Nicolas et le Père Fouettard allaient donc ensemble dans les familles, le soir du 5 décembre, questionner les enfants. Les petits répondaient avec crainte et l'évêque ne manquait pas de leur distribuer quelques douceurs, pendant que le sombre compagnon les menaçait de ses verges. Mais le scénario s'est transformé, car les visites du saint et de son valet sont maintenant collectives : elles ont lieu à l'école par exemple. Cela soulage les enfants qui ne sont plus attaqués personnellement par le méchant Père Fouettard ! Ils n'oublient pas, ce soir-là, de déposer leur soulier dans la cheminée, avec du foin ou des carottes pour l'âne (pour le cheval aux Pays-Bas), et ils y trouvent le lendemain matin des pains d'épices, des spéculoos ou des massepains, ainsi que de menus jouets. Avant de s'endormir, ils invoquent le généreux saint dans des comptines qui, dans leur bouche, ne sont pas très éloignées de la prière.
D'ailleurs, à l'image de saint Nicolas, les distributeurs de cadeaux sont parfois religieux, comme l'Enfant Jésus allemand ou autrichien, ou comme les Rois Mages espagnols. Ces personnages mythiques sont très proches des enfants et ils restent très abordables dans leur esprit, comme peut l'être le Père Noël.
Au 16ème siècle, saint Nicolas, jugé trop papiste par la Réforme qui condamnait le culte des saints, fut remplacé dans les régions protestantes par l'Enfant-Jésus (le Christkindel ) symbolisé par une jeune fille vêtue de blanc. Des régions très catholiques comme l'Autriche et la Bavière allaient à leur tour adopter l'image angélique de ce Christkindel. De plus en plus souvent, le cortège de saint Nicolas est officiel et c'est toute la ville, avertie par la presse, qui vient à sa rencontre sur une place principale. La " ferveur" des jeunes assistants reste la même ! Le Père Fouettard y est toujours présent, mais les enfants, même s'ils continuent de le craindre, ne se sentent plus menacés individuellement. Ces cortèges ont lieu le samedi ou le dimanche le plus proche du 6 décembre.
Aux Pays-Bas, l'évêque arrive par bateau dès la mi-Novembre. II vient d'Espagne, dit-on, en compagnie de plusieurs Pierre le Noir, des pages qui sont plus amusants que menaçants avec leurs acrobaties. Tous les enfants guettent leur arrivée et chantent :

Voilà le navire qui nous vient d'Espagne
Voilà Saint Nicolas, nos vœux l'accompagnent...

Jusqu'au 6 décembre, saint Nicolas va visiter avec son cortège hôpitaux, maisons de retraite et écoles, où il est toujours très bien reçu.

Entrez Bon Saint Nicolas, grand saint mitré,
Nous sommes tous assis, les bras croisés,..
Et nous chantons, et nous dansons, nous sommes si contents
Les enfants sont tous obéissants !

Le soir du 5 décembre, les familles hollandaises se réunissent et ouvrent les paquets déposés dans un carton par le saint ou par l'un de ses valets qui a cogné à la porte. Personne n'a eu le temps de le voir : cela va si vite ! Chacun déballe son cadeau dans une grande gaieté, car les emballages, très étudiés, doivent être compliqués. Ils importent plus que ce qu'ils contiennent. Dans le bout rimé qui accompagne le petit cadeau, les bonnes plaisanteries sont de rigueur. On chante encore, et tous ces chants sont l'expression d'un moment sacré de joie simple, toute familiale.

Oh ! la lune luit dans les branchages
Arrêtez tous votre tapage.
Dans le silence de ce beau soir
Saint Nicolas vient nous voir.

Le temps liturgique
L'Avent est une période d'attente joyeuse dans la liturgie, comme dans les cœurs. Les fidèles y reprennent avec joie les chants aimés, appris dans l'enfance et réservés à la période de Noël. Ces chants, qui portent le nom de "noëls" (avec un n minuscule) ne sont pas des cantiques. Pourtant, ils furent comme eux inspirés par la liturgie. L'Avent tient son nom du latin Adventus ("avènement", "venue"). Il précède Noël, fête de la Nativité, où les Chrétiens célèbrent la venue de l'Enfant-Jésus à Bethléem en Judée et l'avènement de son retour glorieux. L'Avent débute le dimanche le plus proche de la Saint-André, au plus tôt le 27 novembre et au plus tard le 3 décembre, et il comprend quatre dimanches. Il durait autrefois six semaines. C'était à ses débuts une période austère, appelée "petit Carême" où les restrictions concernaient aussi bien la nourriture que certaines activités quotidiennes, comme celles de laver ou de filer.
L'Avent a été institué au 6ème siècle, à Rome reprenant, semble-t-il, un temps de jeûne qui précédait la Nativité dès le 4ème siècle en Espagne et en Gaule. Ce n'est d'ailleurs qu'à partir de la moitié du 4ème siècle que les premières mentions de la fête de Noël apparaissent à Rome dans un chronographe de 354 (sorte d'almanach). L'Avent, loin d'être austère comme il l'était à l'origine, est devenu une période d'attente joyeuse.

Adoration des rois mages

Peinture murale de l'église de Gargilesse

Les chants de la Nativité
Les hymnes des liturgies des églises d'Orient et d'Occident vont s'inspirer de la Nativité dès les premières célébrations de Noël et de l'Épiphanie au 4ème siècle. La première mention des trois messes de Noël remonte à saint Grégoire le Grand. La tradition sacrée s'intégrera plus tard à la tradition profane avec ses chants et ses cortèges accompagnant les fêtes de la période hivernale.
Les tournées de l'Avent, comme celles de "l'An Neuf " ou des Rois, sont antérieures aux noëls de l'église. Les noëls ne sont pas des prières pour autant, ni des chants de louanges. Il ne s'agit plus de "quérir" Noël de maison en maison, mais de chanter la joie de la Nativité ensemble à l'église ou chez soi. On assiste maintenant à une confusion de deux genres et les enfants entonnent volontiers ces noëls dans leurs tournées. Les Evangiles de saint Luc et de saint Mathieu, les seuls à l'évoquer, sont très sobres sur le sujet de la Nativité. L'imagination populaire s'est plue à rajouter des éléments inspirés de prophéties de l'Ancien Testament et surtout des Evangiles apocryphes, écrits pour combler cette soif de détails merveilleux autour de la vie du Christ. C'est ainsi qu'apparaissent l'âne et le bœuf, la grotte de Bethléem ou que les Mages deviennent les trois Rois que l'on sait. Dans la divine naissance, la Vierge est à la fois une femme et une mère, ce qui ne pouvait que plaire aux gens du peuple qui s'identifiaient aux modestes bergers avertis les premiers par les anges.
Les nombreux artistes, copistes, sculpteurs, maîtres-verriers, peintres, musiciens... y trouveront là matière à variations pour alimenter leurs œuvres que l'on rencontre des miniatures des manuscrits, aux tympans des cathédrales et aux vitraux.

La Messe de Minuit
Dès les premières célébrations de Noël et de l'Épiphanie au 4ème siècle, des hymnes accompagnent les liturgies des églises d'Orient et d'Occident. La Nativité inspire les premiers poèmes aux docteurs orientaux. L'une des hymnes de saint Ephrem le Syrien introduit déjà les artisans aux côtés des bergers accourus à la crèche : " Salut Ô Toi, qui est appelé à cultiver nos champs. Tu fertiliseras le froment dans le grenier de la vie ". Au même siècle, saint Ambroise, évêque de Milan, considéré comme le père du chant choral, et son contemporain saint Hilaire de Poitiers donnent à leur tour l'impulsion à la liturgie romaine en créant sur le thème de la Nativité, des chants latins connus encore maintenant.
La première mention des trois messes de Noël remonte à Saint Grégoire le Grand (mort en 604) qui le précise dans une homélie sur la Nativité, et ces messes sont précédées de celle de la vigile le soir du 24. Ces trois messes, selon l'usage papal, ont lieu dans trois églises différentes de Rome : messe de la nuit (et non "messe de Minuit" comme le dit l'expression populaire) à Sainte-Marie-Majeure sur l'Esquilin, messe de l'aurore à Sainte Anastasie au pied du Palatin, et messe du jour à Saint-Pierre. Lors de ces messes, la liturgie chantée sous des formes latines alternées, atteint son apogée aux 9ème et 10ème siècles avec la création des tropes. Ces variations sur des textes sacrés sont des antiennes dialoguées et ne sont pas considérées comme liturgiques. Ces tropes sont nombreux à Noël, à l'exemple de celui du moine Tutilon de l'abbaye de Saint-Gall " Hodie cantandus est " (Aujourd'hui, il nous faut chanter), l'un des premiers. Tolérés, ils prennent place à certains moments de la liturgie afin de la rendre plus animée, et présentent déjà un tour dramatique. Les "épîtres farcies" où latin et langue usuelle alternent, les antiennes dialoguées et les tropes se renforcent de gestes et donnent naissance à des jeux scéniques.
A partir du 11ème siècle, le clergé associe le peuple aux chants de la liturgie. La "prose" (hymne) " Laetabandus " du 11ème siècle, attribuée à tort à saint Bernard, est considérée comme l'un des facteurs les plus actifs des noëls populaires au Moyen Age. Son air sera souvent repris, tant pour les chansons à boire que pour des pamphlets protestants. Les chants de Noël aux accents liturgiques vont se multiplier en Europe. En Pologne, un premier noël daterait des environs de l'an mille. A la cour d'Angleterre, un chant de noël est attesté dès 1170. En langue allemande, le " Sys willekommen, heire Kerst ". (Sois le bienvenu, Seigneur Christ) est du 12ème siècle. Chaque couplet se termine par le répons populaire " Kyrieleys", de " Kyrie eleison ". Chanter des noëls en allemand se disait "chanter les Quempas", abréviation du nom d'un chant latin du 14ème siècle " Quem pastores laudavere ". Les chants grégoriens du mystère de l'Incarnation rendent les messes de minuit et du jour toujours très appréciées dans les abbayes. Les hymnes liturgiques, graves, sont très belles. Certaines datent des 9ème et 10ème siècles (Ecce nomen Domini ). Si les pièces chantées se réjouissent, comme dans les noëls, de la présence de l'Enfant-Jésus, elles soulignent que cet Enfant est le Fils de Dieu. Elles sont empreintes de révérence, de majesté et d'enthousiasme. Chez les orthodoxes également, voix et chœurs retentissent dans les monastères russes, arméniens, ou grecs. Cela a lieu treize jours plus tard, le 7 janvier, les fêtes religieuses orthodoxes (russes et slaves) suivant le calendrier julien. Mais ces chants liturgiques ne rentrent pas dans la catégorie populaire des noëls. Certains motets latins de plain-chant composés au début du Moven-Age sont encore chantés, mais ils relèvent aussi de la liturgie et en cela, sont très différents des noëls, nés eux, seulement à partir des jeux semi-liturgiques à la fin du XVe siècle.

Les crèches et les pastorales
Les noëls et leur mise en scène de bergers et de gens de petits métiers inspirent eux-mêmes en partie les représentations plastiques des crèches qui apparaissent dès le 16ème siècle crèches d'églises d'abord, puis crèches familiales à partir du XVIlIe siècle. De la même façon qu'ils sont nés de spectacles, ils engendrent à leur tour les crèches parlantes puis les Pastorales. Les sujets restent liés à la Nativité, mais en réalité, ils n'ont plus rien à voir avec l'Eglise. Ces spectacles sont publics, comme le sont nos modernes séances de marionnettes ou de théâtre, mais leur auditoire y va avec une grande piété. Ils sont joués de la fin du 18ème jusqu'au début du 20ème siècle "crèches parlantes" et mécaniques, avec jeux de marionnettes où les aspects comiques et satiriques ne sont pas oubliés, comme dans celles d'Autriche, de Belgique, ou de France, en Franche-Comté ou en Provence. Les crèches parlantes mettent la Nativité en scène sur différents tableaux. Les noëls en patois de Besançon, composés au début du 18ème siècle laissent déjà entrevoir le spectacle de la Crèche Bisontine qui connaît son apogée au 19ème siècle. Ce spectacle reproduit les dialogues en français entre saint Joseph, l'avocat et les médecins, ceux en patois des ouvriers, et d'un vigneron Barbizier qui présente les personnages. Tout se passe la nuit de Noël et, avec humour, les uns et les autres se rendent à la crèche. Les défauts des hommes et une satire "politique" ne manquent jamais d'être mis en évidence, évidemment ! A l'heure actuelle, la formule n'en est pas abandonnée : les théâtres de marionnettes continuent de présenter leurs spectacles, par exemple en Belgique, à Liège ou à Verviers, ou en France, à Besançon. En Europe Centrale, des "montreurs de crèches" itinérants vont toujours présenter de porte en porte ou de quartiers en quartiers un spectacle où la critique des évènements de l'année va bon train sur un ton badin. Les plus célèbres, en France, sont la Pastorale Maurel qui date de 1844, et une plus récente de 1957, La Pastorale des Santons de Provence d'Yvan Audouard. Bien des santons de la crèche se sont inspirés aussi des personnages comiques de ces pastorales, qui ont elles-mêmes puisé dans le répertoire des noëls provençaux, puis dans celui des crèches mécaniques. Les Pastorales font actuellement en Provence l'objet d'un Festival, à Gordes dans le Vaucluse entre les 26 décembre et 4 janvier. Ces spectacles ne sont pas donnés dans les églises, mais dans des salles paroissiales ou municipales.

2.- NOEL EN PROVENCE

La veille de Noël La vèio de Nouvè : la crèche
C'est le moment où, dans les familles, on fait la crèche. Certains situent ces préparatifs plusieurs jours auparavant. Cela ne paraît pas logique car le feuillage doit être bien frais pour le jour de Noël, et aujourd'hui, dans les appartements chauffés, il se conservera difficilement jusqu'au 2 février.
Nous avons d'ailleurs bien des témoignages nous parlant de la promenade dans les collines pour aller recueillir toute cette précieuse verdure. Marie Mauron par exemple raconte le départ des enfants du village, à l'aube, pour aller couper buis, thym, olivier et pin, autant de feuillages qui serviront à garnir la crèche. Au passage ils s'empresseront également de ramasser " les cailloux mousseux dont il feront des chaînes de montagne et les lichens argentés ou dorés sur lesquels, mollement, pourront se poser les santons ".

Lazarine Nègre, la félibresse "Lazarine de Manosque" quant à elle, se souvient : " en nous levant, nous mangions une écuelle de soupe, et nous partions tout ravigotés, gais comme des pinsons, pour aller chercher le verbouisset... avec ses boules rouges comme des cerises au mois de juin et coupes que tu couperas! ... "
Enfin, Marie Gasquet nous fait partager l'ambiance chaleureuse et conviviale des collines en cette veille de Noël, prélude joyeux à la fête familiale : " Les vallons des Alpilles se remplissaient de rires. Le pays s'en allait par bandes à la montagne... A la nuit tombante, tous se retrouvaient, les épaules chargées de verdure, au plateau de l'arc de Triomphe, et l'on se mettait en route chantant des marches guerrières mêlées à des Noëls. "
Les collines ne retentissent plus de chants, mais nous pouvons toujours aller y chercher la mousse et la verdure et, surtout, nous emporterons notre sécateur de façon à ne pas abîmer et arracher les plantes, le thym, par exemple qui, bien taillé fait de si jolis oliviers.
Toute cette "flore de Noël" mérite d'ailleurs que nous nous y arrêtions un peu :
- Le thym, la ferigoulo, né, paraît-il, des larmes de la Belle Hélène, pousse spontanément sur tout le pourtour de la Méditerranée, utilisé depuis la plus haute antiquité dans la cuisine, mais aussi en médecine, produits de beauté, antimite, et même pour embaumer les morts !
- Le petit houx ou fragon, lou verbouisset vo calendau, tiges de 50 à 80 cm, garnies de fausses feuilles, dont les piquants sont destinés, d'après la légende, à protéger de la voracité des oiseaux ses jolies petites boules rouges. Les racines étaient utilisées en médecine populaire comme diurétique, fébrifuge et contre la jaunisse et la goutte. Les poètes n'ont pas oublié cette plante de Noël. Le félibre J.-B. Gaut a composé un Noël en 1869 où il évoque le fameux verbouisset :
" Lou blound Jèsus dintre la paio
" Ero neissu
" Er, sus soun su,
" Ounte tant de trelus dardaio
" Ei péu divin,
" Tant rous, tant fin
" Vias verdeja, dintre l'androuno,
" Uno courouno
" De verbouisset
" Qu'espandissé,
" Que pèr éu plus tard rougissè ! "

" Le blond Jésus était né sur la paille et sur sa tête où tant de lumière brillait, sur ses cheveux divins, si blonds, si fins, on voyait verdoyer, derrière lui, une couronne de verbouisset qui s'épanouissait et qui, pour lui, plus tard, rougirait ! "
- Le laurier-tin, lou faveloun vo carenau, dont les branches, garnies de gaufres, d'oranges, et illuminées de chandelles, étaient, autrefois, suspendues à une poutre au-dessus de la table du gros souper. Ce qui nous donne l'occasion de préciser que l'arbre de Noël n'est absolument pas traditionnel chez nous ; coutume née au 16ème siècle dans l'Europe du nord, adoptée en Allemagne au 17ème siècle, elle pénétrera en France après 1870. En 1912 naquit en Amérique, à Boston, l'idée de mettre des arbres illuminés sur les places publiques, cette coutume atteignit la France après la Première Guerre mondiale et devint générale après la seconde. Dans les Souvenirs de Bougneto, Marius Boyer, d'Aubagne, né vers 1910 raconte comment, au retour de la messe, il découvrait l'arbre de Noël garni entre autres papillotes et sucreries, d'oranges et de mandarines dans lesquelles étaient piquées des feuilles de laurier en guise de décoration.
- Le lierre, l'èuse, liane aux feuilles toujours vertes, aux petites baies sombres, symbole de la force végétale, de l'amour fidèle, très utilisé en médecine populaire (et dans notre jeunesse pour rêver à celui que l'on devait épouser !). Elle permet de faire de très jolies bordures pour la crèche et des chemins de table pour le gros souper.
- Le romarin, lou roumanin, peut figurer les cyprès dans la crèche. Très utilisé pour parfumer la cuisine et pour confectionner du "vin de romarin" ; il était aussi fort employé en médecine populaire. Une vieille légende assure que ses fleurs sont couleur bleu ciel, parce que la Vierge Marie, lors de la fuite en Egypte, se reposant auprès d'un buisson de romarin, y avait étendu son manteau.
Nous avons retrouvé de nombreux témoignages évoquant les souvenirs qu'ont laissés la préparation et la décoration des crèches familiales. Comment par exemple, on transformait les feuilles de papier d'argent du chocolat en rivières et en ruisseaux ; comment quelques nuages de farine faisaient office de neige et quelques poignées de sable fin dessinaient les sentiers vers lesquels cheminaient le petit peuple des santons. Tout était utile à cette entreprise de construction, bois, pierre, papiers de toutes sortes, cartons et l'imagination de tous, grands et petits, allaient bon train pour disposer les collines, les ponts et les chemins, sans oublier les prairies de mousse et la petite grotte chez certains, l'étable chez d'autres, où était couché l'Enfant-Jésus entre l'âne et le bœuf.
La magie d'une crèche vient souvent de la luminosité qu'elle diffuse, du jeu réussi des ombres et des lumières. Pour l'illumination finale, chez Lazarine de Manosque, on plaçait "... devant la crèche une veilleuse qui brûlait nuit et jour jusqu'à la Chandeleur ". Charles Maurras, lui, se souvient de son émerveillement d'enfant lorsqu'il découvrait la crèche illuminée de cierges et garnie des soucoupes de blé vert. Chez d'autres, comme Louis Deluy, "... nous nous servions de mandarine, coupée par le milieu, remplie d'huile; la peau intérieure de la mandarine tenait lieu de mèche, l'autre partie retournée dessus. C'était très joli ".
En cette veille de Noël, on commence aussi à préparer de bonnes choses, comme le raconte Simone Chamoux. Sa grand-mère Marie d'origine marseillaise, tenait à maintenir les traditions de son terroir jusqu'à Nyons où elle résidait, en confectionnant la véritable pompe à huile. Aussi " La veille de Noël, tout de suite après midi, elle sortait de l'armoire un tablier blanc et le nouait sur sa blouse de travail. Elle emprisonnait ses beaux cheveux dans un grand mouchoir d'indienne et retroussait ses manches jusqu'aux coudes. Car la pompe de Noël, ça se fait avec respect ".

(On pourra trouver cette recette dans la page des recettes de Noël).

La table du gros souper La taulo dou gros soupa
L'heure du "gros souper" de ce 24 au soir approche, nous devons préparer la table, elle doit être belle et accueillante pour la famille qui sera rassemblée autour d'elle.
Tout d'abord, mettons une nappe. Une seule ? Oui, si nous en croyons les souvenirs de Marie Gasquet qui parle " d'une nappe damassée " tandis que Louis Deluy se souvient que " Le couvert était dressé sur une nappe blanche, plusieurs bougeoirs échelonnés sur la table ".
Mais pourtant si nous lisons Marchetti (Explication des usages et coutumes des Marseillais, 1863) " Nous mettons trois nappes l'une sur l'autre, pour la révérence que nous portons à ce saint jour, et nous les laissons pour cela sur la table durant les trois fêtes... Nous en mettons trois parce qu'ayant été consacrés par le baptême à La Trinité, non contents de faire toutes choses en son nom et son honneur, nous tâchons d'en conserver toujours quelques vestiges et quelques traces en nos actions ". Mais Mistral, lui aussi dans le si beau passage de ses Memori précise " sus la triplo touaio blanco " (sur les trois nappes blanches).
Bien d'autres explications sont avancées pour justifier cette coutume des trois nappes, la plus grande posée la première, puis la moyenne, puis la plus petite, de façon à ce que l'on voit bien les trois niveaux. La référence à la Sainte Trinité, par exemple, se retrouve dans la formule que les ménagères prononçaient, selon certains renseignements, en disposant les nappes : " Uno pèr lou Paire, uno pèr lou fiéu, uno pér lou Sant Esperit. ". Par ailleurs, le chiffre 3 est un nombre fondamental dans toutes les religions ; il intervient souvent dans la vie du Christ. En souvenir de Jésus, Marie et Joseph. Pour les trois services du repas (les poissons et légumes, les desserts, le café autour duquel les hommes fument la pipe), ce qui ne me paraît pas très commode pour les maîtresses de maison ; mais, toutefois, cette explication est corroborée par Henri Oddo : " Le souper comprend trois services ; pour y correspondre, la table est couverte de trois nappes de dimensions différentes. " Enfin, dernière explication possible : en prévision des trois repas, gros souper le 24 au soir, repas de midi le 25, repas du midi le 26 appelé chez nous deuxième fête de Noël ; on enlève après chaque repas la nappe qui a servi. Louis Deluy le confirme : " pour les grandes fêtes religieuses, et surtout pour Noël, on festoyait trois jours durant : le gros souper la veille, le dîner le jour de Noël, puis le lendemain de Noël. Le couvert restait mis trois jours. " Et au cours d'une enquête menée par le groupe " La couqueto " en 1994, nous avons eu plusieurs témoignages de familles chez qui, encore aujourd'hui, on met trois nappes et on ne débarrasse pas complètement la table pendant ces trois jours : la coutume n'est donc pas entièrement oubliée.
Il faut maintenant mettre le couvert et garnir la table avec ce que l'on a de plus beau dans les armoires. Et Marie Gasquet, outre la nappe damassée, les cristaux chantants, les assiettes peintes ou les couteaux à manche de nacre, se souvient d'un rituel qui mérite quelques explications : " Le surtout, maintenant, c'est une jatte de Moustiers remplie d'eau claire. Durant le Bénédicité, ma mère y posera sept roses de Jéricho qui ressusciteront au beau milieu du désert. "
I1 ne faut pas confondre, comme on le fait trop souvent, la "rose de Noël" avec la "rose de Jéricho". L'hellébore noir ou rose de Noël, renonculacées aux fleurs teintées de rose pâle, verdâtres après la floraison, aux feuilles palmées, croît sur les terrains calcaires, riches en humus. Elle peut se cultiver dans les jardins. Elle fleurit de décembre à février. La rose de Jéricho, rose de Judée ou fleur de Judée est une crucifère dont le nom scientifique est emastatica hiérochuntia. C'est une plante hygrométrique en forme de thym, originaire d'Arabie, de Syrie et d'Egypte. Elle est couleur "rose des sables". Placée dans un verre d'eau, elle s'épanouit pour être exposée dans la crèche ou sur la table de Noël, son épanouissement dure cinq à dix jours. Retirée de l'eau, la plante se recroqueville à nouveau et peut resservir des années durant. Cette plante figure sur la liste des objets de dévotion, ce qui lui confère une valeur religieuse et sacrée reconnue. Les premières roses auraient été importées par des pèlerins ou des croisés.
Marcel Provence raconte dans Noël au pays de Provence, 1930 : " Près de la veilleuse et des soucoupes herbues, deux petits vases de verre à l'eau limpide portent avec fierté deux roses de Jéricho desséchées... Si dans cette nuit calendale, les roses de Jéricho s'épanouissent, c'est la prospérité pour la famille et pour le mas. Pecaire ! Si les roses gardent leur sécheresse, c'est peut-être bien du pas trop bonheur, quelque malheur qui menacera l'oustalado. " Selon l'Ecclesiaste, les roses de Jéricho symbolisent la Vierge et si on les place au centre de la table, c'est pour que la mère de Jésus soit elle aussi présente au cœur de la fête. La coutume voulait également qu'au moment d'une naissance, on pose la rose desséchée auprès de la future mère, afin qu'elle s'épanouisse lorsque l'enfant naîtra. Autrefois on achetait les roses de Jéricho à la grande foire de Beaucaire de juillet, mais il est bien difficile maintenant d'en trouver.
Les trois "sietoun" (petites assiettes) de blé semées pour Sainte Barbe et maintenant bien vertes, seront disposées sur la table avec trois bougies, à Aix, trois oranges confites ; toujours ce chiffre trois dont nous avons déjà parlé. Nous pouvons utiliser la même verdure que pour la crèche, mais pas de gui, qui est réputé porter malheur ; cette croyance est encore vivante dans un certain nombre de familles.
Dans certaines maisons, une partie des desserts figure sur la table en décoration, par exemple des compotiers de fruits. Dans d'autres, on intercalait soucoupes de blé, bougies et corbeilles de fruits qui resteront sur la table durant tout le souper.
Et "la part du pauvre" dont on parle souvent ? Marchetti l'évoque (1683) : " Une coutume qui se pratiquait dans toutes les familles et qui se garde encore en quelques-unes. C'est qu'on y faisait pétrir expressément pour les pauvres, à qui l'on distribuait après avec beaucoup de charité tout le pain que l'on avait fait. Le jour de Noël, chaque famille en prenait un pour lui donner à manger et réservait pour cet effet le premier service des viandes qui étaient servies ce jour-là à table. "
Dans beaucoup de foyers, on demandait aux enfants de donner leur part du repas au pauvre de passage à qui ils la remettaient eux-mêmes. Pour les récompenser de cette bonne action accomplie, en revenant s'asseoir à leur place, ils trouvaient dans l'assiette le double de ce qu'ils avaient donné. Dans certains villages, les hommes chargés d'une nombreuse famille faisaient le tour des maisons, une grande corbeille au bras, où on leur mettait des victuailles. On nous a signalé, en 1976, qu'à Solliés-Ville, on donnait dans l'après-midi du 24, de la nourriture à treize pauvres, appelés dans les vieux documents, "les treize apôtres".
Témoignages d'une époque révolue ? Voire... Mais il est toujours possible, en pratiquant cette " charité de cœur " qui compte aussi dans la vie, de faire place à notre table familiale aux endeuillés, aux éprouvés, aux isolés, pour qui, sans cela, Noël ne serait pas la fête de l'espoir et de la lumière.
La Bûche de Noël Anan pausa cacho-fio
Tel est le sens exact du mot, qui se dit également calendau ou calignau, dans le Grand Trésor. Cette tradition perdure encore dans certaines familles, qui ont la chance d'avoir une vraie cheminée et un verger!
Cette cérémonie du feu est une tradition très ancienne ; la bûche représente le Christ sacrifié pour nos péchés, symbolisés par les libations, explique Marchetti. Le feu est signe de joie et de lumière, puisque cette fête de Noël serait une christianisation de la fête païenne du Natalis Invictus, du soleil invaincu dans cette période du solstice, suivant une technique recommandée par le pape Saint Grégoire (+ 6104) : faire nasser les fêtes du culte des idoles à la louange du vrai Dieu et qu'ainsi, en conservant la joie de ces fêtes, les gens puissent plus facilement goûter les joies intérieures.
La cérémonie consiste donc à mettre une bûche dans la cheminée avec un rituel qui était autrefois bien établi mais sans doute simplifié maintenant lorsqu'il est pratiqué. Cette bûche doit être une grosse branche d'arbre fruitier cerisier, poirier, mais pas de figuier, pour plusieurs raisons : il brûle mal, la fumée donne mal à la tête, le Christ a maudit l'arbre stérile, ce serait l'arbre auquel Judas s'est pendu (pas solide pourtant, puisque, lorsque nous étions enfants, on nous interdisait de monter aux figuiers, car les branches "cassaient comme du verre").

Fresque de tradition byzantine. A Göreme en Cappadoce (11ème siècle)

Seule exception signalée : du bois d'aubépine aux environs de Monteux. Le plus âgé et le plus jeune de la famille portent la bûche dans la cheminée, après lui avoir fait faire trois fois le tour de la table ; l'aïeul l'arrose d'un peu de vin cuit, ou d'huile, ou, dans la Gavotine, de bouillon de cuisson des crouzets, en récitant une formule nous avons plusieurs versions, dont la plus connue étant celle de Mistral :" Alègre ! Alègre ! Mi Bèus enfant, Diéu nous alègre ! Emé Calèndo tout bèn vèn... Dièu nous fagne la gràci de vèire l'an que vèn, E se noun sian pas mai, que nous fugues pas mens ! "
" Allégresse! Allégresse ! Mes beaux enfants, Dieu nous réjouisse, Avec Noël, tout vient bien... Dieu nous fasse la grâce de voir l'an qui vient, Et si nous ne sommes pas plus, que nous ne soyons pas moins ! "
Ensuite le feu est allumé et on peut se mettre à table.
La tradition voulait qu'au "premier coup" de cloche de la messe de minuit, on éteigne la bûche, qu'on la couvre de cendre. Le lendemain, on la rallumait et elle devait brûler jusqu'au jour de l'An. Les charbons qui restaient étaient utilisés pour soigner les animaux malades, broyés dans leurs aliments, et un morceau, que Marie Mauron appelle "Le Trésor Saint" était mis dans la cheminée l'année suivante. Les cendres étaient utilisées en médecine populaire, protégeaient contre l'incendie et débarrassaient les poules de leurs "pipidons", comme nous disions quand nous étions gosses ? Et puis il y a cette croyance curieuse, rapportée par Marchetti, qui veut que les braises déposées sur la table du gros souper ne brûlent pas les nappes. Ce serait un symbole marial : la Vierge était impénétrable aux feux de la concupiscence représentée par ces charbons. Le rite aurait encore été pratiqué au siècle dernier, mais les braises déposées sur un plateau ou une pelle...
Nous pourrions signaler quelques traditions perdues, mais néanmoins intéressantes :
=> Le pain calendal dont parle Mistral " Le gros pain calendal, qui ne s'entamait qu'après en avoir donné, religieusement, un quart au premier pauvre qui passait ". On en portait un morceau aux animaux et Marchetti assure que les mariniers et les pêcheurs ne s'embarquaient guère sans en emporter avec eux pour en jeter dans la mer quand elle était coléreuse.
=> La réconciliation : Marchetti nous raconte cette coutume des visites entre personnes ayant quelque chose à se reprocher, visites accompagnées de telles libations qu'elles furent interdites en 1602 ! Combien je préfère, tout simplement lou brinde porté par le père de Marie Gasquet : " Je lève mon verre à nos amis, à ceux qui nous ont été doux, qui nous ont fait du bien. Je le lève à mes ennemis ; que notre cacho-fiô et nos lumières luisent au fond de leur cœur pour y détruire toute haine. Et maintenant, je bois à nous tous, à la santé de nos corps, à la joie de nos âmes, à la beauté de la Provence, à nos cœurs unis. A l'amitié, à l'amitié de Noël ! "
=> Les échanges de cadeaux entre la ville et la campagne : Marchetti parle des échanges de pompes entre les femmes. Visiblement, il n'aimait pas la pompe ! La gazette du Midi du 24.12.1836 écrit : " Des paysannes viennent de leur village, pliant sous le poids des pompes et des corbeilles de raisins conservés dès les vendanges et pendues aux poutres de la bastide. En retour de leurs offrandes qu'elles font aux riches citadins, elles reçoivent du sucre, de la morue et du café. "
=> La nourriture des bêtes : ce soir là, les bêtes avaient double ration, comme le raconte Lazarine : " Les gens, les bêtes, tout le monde faisait Noël ! [...] Le premier servi était le cheval. On coupait un gros pain dans une grosse gamelle et on l'arrosait d'une bouteille de bon vin. Quand le pain était bien imbibé, mon père allait le mettre dans la mangeoire, et le cheval faisait Noël. Au chardonneret que nous avions en cage, on donnait un morceau de pompe à l'huile avec du sucre. Après, venait le tour du chien, un gros plat de gratin de morue. Oh ! Si vous l'aviez vu comme il était heureux, le brave chien ! " Nous pourrions maintenir la tradition, en donnant des graines aux oiseaux sur les balcons. Ils se régaleront demain matin, si toutefois ils ne sont pas chassés par les funestes pies qui s'attaquent à tous les petits oiseaux.
Le trajet pour aller à la messe L'escourregudo per ana à la messo
Maintenant, bien sûr, tout le monde y va en auto! Mais je me souviens de fameuses "resquillades" sur les trottoirs verglacés de la rue Paradis ! Autrefois, c'était plus poétique : " La belle nuit ! Le vent s'arrête, les étoiles dansent, la lune brille comme une perle, le bruit des cloches se prolonge en bourdonnant, là-bas, au loin, dans la plaine. Des mas, les gens courent vers l'église, c'est l'heure du pastrage " (Baptiste Bonnet). " Je vois encore les hommes dans leur cape de bure, les femmes dans leur pèlerine à capuche, et les enfants ; tout le monde marchait joyeusement, muni de sa lampe à huile, vers ce clocher, cette église qui nous attendait pour la messe de minuit et où pétillait un bon feu de bois. " Ce sont les souvenirs de Gilberte à Uvernet (Ubaye).

La messe de minuit La messo de miejo-nue
Quelle est l'origine liturgique des 3 messes qui étaient célébrées cette nuit-là, jusqu'à une époque récente ? Primitivement, il n'y avait à Rome qu'une seule messe solennelle le 25 au matin. En 445, le pape Sixte 3 institua la messe de minuit, et au 6ème siècle s'y ajouta la messe de l'aurore, à laquelle succédait la messe du jour.
Mais Lou felibre de Nosto-Damo (1904) attribue ces cérémonies à une jolie légende : Un jour, au Paradis, une délégation des étoiles, menée par la bello brihanto, l'étoile du berger, qui guida les mages vers l'étable, demande à Dieu le Père que la messe de minuit leur soit dédiée. Dieu le leur accorde, à perpétuité. L'aube vient ensuite se plaindre que les étoiles se moquent d'elle et demande une messe, elle aussi, cette nuit là. Le Seigneur lui accorde la messe de l'aurore. Arrive enfin le soleil, jaloux, auquel on consacre la messe du jour. " E vaqui coume, pèr Nouvè, ami miejo ni niue, se dis la messo dis Estello ; a la primo, quand li gau canton, aquelo de l'aubo; e, lon dejour, la messo soulenno don soulèu. "
Bien des traditions, signalées par différents auteurs, se sont perdues : les lâchers d'oiseaux dans l'église (en particulier le roitelet la petouso) à Entraigues, Mirabeau, Mazan, Lagnes. De même que, à Saint-Maximin, la quête des enfants pauvres dans les rues du villages, jusqu'à la guerre de 1914 (C. Seignolle) ; mais aussi les farces signalées par Bérenger-Féraud (1885) : " Pendant la messe de minuit, les dévotes ont grandement à craindre de trouver de l'encre au lieu d'eau bénite dans le bénitier (aujourd'hui les églises sont trop éclairées, et les bénitiers souvent vides...), de rencontrer, en sortant de l'église, des pois fulminants (des pétards, je suppose ?) sous leurs pieds, si elles n'ont pas eu déjà leur robe cousue à celle de la voisine (difficile avec les minijupes !) " ; et on ne fait plus peta li boufigo : éclater les vessies de porc gonflées d'air en sautant dessus dans certaines paroisses du Var. A Cruis jusqu'à la guerre de 14, les fidèles chantaient en chœur le "minuit chrétien", paroles composées en 1847 par Placide Capeau, de Roquemaure (Gard) sur la demande du curé de son village, musique d'Adolphe Adam, compositeur connu. Cet air, chanté pour la première fois en Provence, est connu dans toute la France.
Mais beaucoup de traditions sont heureusement maintenues, souvent grâce aux groupes folkloriques qui les ont continuées ou reprises avec les offrandes, le chant des noëls, la musique du galoubet et les costumes.
A Marseille, l'offrande du poisson se faisait, autrefois, à l'église Saint-Laurent, paroisse des poissonnières et des pêcheurs, elle se fait toujours, grâce à " L'Escolo de la Mar " dans l'église Saint Ferréol les Augustins, sur le Vieux-Port. La prière traditionnelle est simple et confiante : " Pichoun Jésus, noueste Segnour, les pécheurs et les poissonnières viennent vous faire l'offrande du plus beau poisson en signe d'affection et de reconnaissance. Vous qui êtes le maître de tout, qui remplissez de poissons nos filets, qui punissez nos manquements, faites que nous vivions toujours comme il se doit, maintenez la paix et la santé dans nos familles, ainsi soit-il. " Cette offrande est également signalée dans quelques paroisses de Nice.
Le pastrage, lou pastrage : l'adoration des bergers représentée à Noël dans les églises est une ancienne tradition. La procession des bergers avance vers l'autel au son du tambourin et du galoubet, précédée d'un petit char garni de verdure et tiré par un mouton. Au fond du char se trouve l'agneau sans tache offert par la corporation des bergers à l'Enfant Jésus. D'autres offrandes, apportées par les enfants du village, venaient compléter celle-là : fruits, confitures, fougasses... Ce pastrage a toujours lieu aux Baux, peut-être un peu "touristique" ? A Barbentane, à Arles, à Marseille, à la paroisse de Chateau-Gombert avec le Roudelet Felibren. A Séguret, presque tout le village participe à la cérémonie Li Bergié, à la procession dans les rues du village, jusqu'à la crèche vivante dans l'église. Beaucoup de groupes folkloriques, dans toute la région, animent les veillées et font "l'offrande" devant la crèche. Offrandes évoquées d'une façon amusante dans les Noëls, ceux de N.-D. des Doms, par exemple :
" léu pourtarai à sa maire
" De la un plen escaufaire,
" Un gros froumage à son paire,
" E Janetoun un agnèu.
" E tu pourtaras, moue paire,
" Un plen plat de brigadeu. "

" Moi, je porterai à sa mère du lait, un plein coquemar, un gros fromage à son père, et Janeton un agneau. Et toi tu porteras. mon père un plein plat de bouillie. " Ou encore
" Lou gros e gras coumpaire l'Andredochi porto un couchoun tout viéu eun couniéu, pèr lou bouta à l'asti pèr Iou fiéu. Lou bon Guillot porto dedins sa biasso forço fromajoun e un jamboun, uno grosso fougasso a l'enfantoun. Un gros capoun à la gaio-estoufèio, li dounnara Martin, de bon matin, emb'uno fricassèio de boudin. Margot fara un plen plat de poutage, de sabourous lausan, e puis Grand-Jan Ié métra de froumage per l'enfant. "
" Le gros et gras André porte un cochon tout vivant et un lièvre, pour mettre à la broche pour le fils. Le bon Guillot porte dans sa besace force petits fromages et un jambon, une grosse galette pour l'enfançon. Un gros chapon en daube, lui donnera Martin, de bon matin, avec une fricassée de boudin. Margot fera un plein plat de ragoût, des lasagnes savoureuses, et puis grand Jean mettra du fromage pour l'enfant. "
Curieux régime pour un bébé de naissance, mais enfin l'intention y est ! A Aix, à la cathédrale Saint Sauveur, on peut entendre, exécuté à l'orgue, le "jeu du rossignol" réservé pour cette seule circonstance.

Texte établi d'après : Nadine Cretin "Noël : chants de la Grande Nuit" in Revue "Histoire" et Marion Nazet "Noël Provençal" Ed. Edisud PP 9-18 et 35-43.

Fresque de Stefano Fiorentino (14ème) dans la basilique inférieure Saint-François à Assise

3.- LE "CHRISTOPSOMO" OU LE PAIN DU CHRIST
une coutume populaire grecque pour le jour de la Nativité

Le " Christopsomo " que l'on pétrit de nos jours encore dans bien des régions de la Grèce, un grand pain rond magnifiquement ornementé de diverses représentations et décorations, fait partie d'une des nombreuses coutumes populaires qui rehaussent l'éclat festif de la Nativité.
Ce pain dit " du Christ " n'est pas un gâteau. C'est bien du pain (artos) qui n'est consommé que le jour de Noël, soit à la table du midi, soit la veille au soir : " le pain béni " de la table familiale et de toute la maison, qui non seulement nourrit les hommes mais aussi les animaux domestiques. On le trouve à Noël surtout dans les campagnes où il est consommé en signe de communion entre tous les membres qui vivent sous le même toit. Fruit du labeur des hommes et par conséquent don noble né du produit de la terre, il porte en lui l'espérance de la foi en la puissance divine et le rappel que le blé enfoui dans la terre attend son heure pour donner une abondante récolte.
Le Christopsomo de Noël est une coutume qui se perpétue dans les régions de l'Ouest et du Centre de la Grèce, dans le Péloponnèse, dans les îles ioniennes et de la Mer Égée (sauf en Crète et à Chypre).
Sa fabrication respecte scrupuleusement deux techniques, définies par le caractère sacré de la fête et toute la symbolique qui s'y ajoute. La première technique concerne le pétrissage et les éléments qui entrent dans la composition de la pâte ; la seconde relève de la décoration et de son apparence finale.
1) Comme c'est le cas pour tous les pains festifs, on n'utilise que des éléments nobles et chers : du blé de première qualité et du sésame, auxquels ont peut rajouter de l'anis, du sucre, de la cannelle, de l'eau de rose, des raisins secs, des clous de girofle. Dans certaines régions il ressemble un peu à nos pains d'épices. Mais le plus important, c'est le rite qui est associé au pétrissage : " La farine est passée par un tamis particulièrement fin et elle est déposée dans une cuvette blanche. On n'achètera pas le levain vendu dans le commerce mais il sera préparé bien avant par la maîtresse de maison. Avant de commencer à pétrir, celle-ci fera d'abord son signe de croix, ensuite elle formulera une prière pour le bien et la prospérité de la maison et seulement après elle se mettra à la tâche " (coutume de la région de Corinthe).
2) Suit l'ornementation de la partie supérieure du pain, traditionnellement rond tel la prosphore ou l'artos de l'artoclassia. Au centre du pain deux bandes de la même pâte seront disposées en forme de croix ou à défaut une vraie croix de bois (rapportée à l'occasion d'un pèlerinage). Ou encore on incrustera la croix au moyen d'un sceau en bois (comme pour les prosphores), que l'on trouve aisément au Mont Athos. II en existe toute une collection au Musée Benaki d'Athènes. Sur les bords du pain et au centre de la croix on dépose des noix entières ou des amandes (ce qui symbolise le don de la terre puisque à cette époque de l'année on ne trouve que des fruits secs).
Après quoi, avec une fourchette ou un couteau ou des ciseaux ou une tige de coquelicot, on sculpte les divers motifs propres à la fête. Les scènes représentées sont habituellement d'origine agricole ou champêtre : par exemple en Macédoine centrale on dessine la charrue et le bœuf, les amas autour de la maison ou un tonneau. On ajoute des biscuits (de la même pâte) de forme longiligne ou une série de petites croix que l'on nomme " agneaux " ou " chevreaux ". On y dessine aussi une marguerite comprenant autant de pétales que les membres de la famille et sur laquelle on dépose un toit qui rappelle celui de la maison. Sur le bas à droite un animal symbolise les habitants de la propriété ; en-haut à droite un ensemble de figures pour désigner les troupeaux. Enfin, en-haut à gauche un sarment de vigne pour signifier le vignoble (coutume du village de Levadia).
C'est ici qu'apparaît la dextérité de la maîtresse de maison puisque la préparation du Christopsomo lui incombe. Certaines femmes réalisent de vrais chefs-d'œuvre : une sorte de monde animé, avec sa maison, ses moutons, ses représentations de tous les travaux des champs. Un tel effort suppose beaucoup d'amour et une grande patience. Et encore une fois précisons que toutes ces scènes sont mélangées avec des dessins à caractère religieux : des petites croix, l'étoile de Bethléem, des mains jointes qui rappellent celle du divin Nouveau-né bénissant le pain. (coutume de Céphalonie).
Et pour que le tout soit haut en couleurs, on répand de partout sur le pain ainsi orné des amandes décortiquées, agencées comme des fleurs, du sucre et beaucoup de sésame.
C'est le maître de la maison qui est chargé de " célébrer, pourrait-on dire, le rite festif qui consiste à rompre le pain ". Le jour de la fête à midi il présidera la table en commençant par souhaiter à tous bonne fête et en chantant le tropaire de la Nativité. Ensuite il distribuera à chacun sa part de pain (on y glisse parfois une pièce de monnaie), morceau par morceau.
Mais ici ou là, d'autres coutumes viennent enrichir ce geste initial. Ainsi par exemple :
1. II arrive que déjà la veille au soir on pose le " pain du Christ " sur la table et à côté une assiette avec des produits de la récolte, un verre de vin et le vase à encens. La mère de famille prélève des petites bouchées de ce pain et les jette dans le vin. Ensuite le père encense d'abord les icônes de la maison, ensuite le pain, la mère et les autres membres présents. II fait de même dans l'étable, les champs, auprès des bêtes et dans tous les alentours de la propriété. Puis il revient à l'intérieur de la maison, il mange une petite bouchée de ce pain et il boit une gorgée du vin qui se trouve dans le verre. Suivent ensuite la mère et tous les autres présents. C'est une sorte de communion familiale et l'un des membres boit aussi une gorgée de vin pour les bêtes et tout le domaine (coutume du village de Serrés).
2. La veille au soir on déposait le Christopsomo au centre de la table et tout autour on y disposait des fruits. Sur le pain on plantait un rameau d'olivier, et sur le rameau on enfourchait des figues, des pommes et des oranges. Ensuite tous les membres de la famille soulevaient la table, la secouant de haut en bas et disant trois fois : " Le Christ est né, joie dans le monde ; chandelier de la table, table de la Toute Sainte Vierge Marie " (coutumes d'Asie Mineure).
3. La veille au soir on prend le " pain du Christ " et on le porte près du feu de la cheminée. Là le maître de la maison jette sur les flammes du vin et de l'huile. Si la flamme grandit, c'est bon signe pour la maison. Si la flamme s'éteint, c'est le contraire. Après quoi chacun prend sa part de pain et il arrive que le plus chanceux y trouve une pièce de monnaie. (A ce moment là, comme pour Pâques, on tire des coups de feu ou on jette des pétards). On pétrit aussi des " pains du Christ " plus petits que l'on distribue aux connaissances et aux pauvres (coutume de Zakynthos et, autrefois, de Céphalonie).
4. La célébration de Noël terminée (en Grèce elle a lieu vers 5 h du matin), le prêtre va de maison en maison et " élève le pain ". Puis il le place sur sa tête, le presse et le casse en deux. Si la partie la plus grande se trouve du côté de sa main droite, alors cela annonce que la récolte de blé et de maïs sera abondante (coutume agricole de Roumeli).
En conclusion, disons qu'en célébrant la naissance du Dieu-Homme, l'homme n'oublie pas d'y associer la terre qui le nourrit. Dans le cas présent, le Christ vient en apportant avec lui les dons que Dieu offre à sa création et qui nous rappellent les largesses de sa divine bonté. Il était donc tout naturel que les coutumes populaires unissent ces deux éléments, l'un d'ordre divin, l'autre d'ordre humain, donnant ainsi l'occasion au peuple d'intégrer dans l'art liturgique celui aussi de son vécu quotidien, qui a pour objet le travail de la terre ou celui des troupeaux.
Démètre S. LOUKATOS Le propre de Noël et des Fêtes Ed. Philippotis - Athènes 1984, pp. 69-73

4.- Noël en Alsace

Comment dit-on Noël en alsacien ? En dialecte alsacien, Noël se dit "wihnachte" ou "wiehnachte". Traduit littéralement, wihnachte signifie les nuits sacrées ou saintes ("wih" pour sacrées ou saintes et "nachte" pour nuits). En Alsace, "wihnachte" désigne non seulement la nuit du 24 au 25 décembre, mais aussi toutes les nuits du 25 décembre au 6 janvier, que l'on baptisait le cycle des 12 jours. Le 26 décembre est d'ailleurs férié. Le temps de Noël, en Alsace commence en réalité, le 11 novembre à la St Martin, pour se terminer le 6 janvier à l'Epiphanie. Il est divisé en trois périodes : l'Avent, la fête de Noël et le cycle des 12 jours. La St Martin marque la fin des travaux des champs et le début du jeûne de préparation de Noël. Ce n'est qu'à la St André, le 30 novembre que débute véritablement la période de l'Avent avec ses démons qui rôdent dans les villages et ses rites qui ponctuent l'attente de Noël.

En attendant Noël

Dès la fin novembre, les premières décorations font leur apparition. Qui n'a pas aperçu la fameuse couronne ornant les portes d'entrée ? C'est la couronne de l'Avent qui inaugure la période allant du 30 novembre au 24 décembre. Réjouissances pour les uns, ces quatre semaines sont aussi le moment où les bons esprits s'en vont pour préparer Noël, laissant la place aux personnagess inquiétants, aux revenants, qui hantent ces premiers jours de décembre. En Alsace, pendant cette période, il était interdit de se marier, de donner ou aller voir un spectacle... sans quoi vous risquiez d'être emmenés à tout jamais par les démons des ténèbres. A chaque jour son saint. Dans les maisons alsaciennes, chaque matin à cette époque, le père de famille ouvrait le livre des saints. A chaque jour son saint, qui protégeait ainsi la maison et la famille, des démons. Le cycle de Noël s'ouvrait ainsi le 30 novembre, à la St André, protecteur des jeunes filles à marier. Ce jour-là, les jeunes filles avaient la possibilité, par des pratiques magiques, de voir le visage, la silhouette ou le métier de leur futur époux. Une des pratiques consistait à balayer sa chambre, à demi nue. En balayant, à reculons ou sous les armoires, des ombres apparaissaient sur les murs. La demoiselle découvrait alors la silhouette de son futur mari seul ou muni d'un outil, révêlant alors son métier ! Puis le 1er décembre, venait St Eloi, protecteur des chevaux. Le jour de la St Eloi, le fermier, pour prévenir ses bêtes des maladies, les amenait à l'abreuvoir boire de l'eau. Le prêtre bénissait aussi les chevaux et donnait un léger coup de marteau en argent sur le front des animaux. Cette pratique de l'Eglise est un héritage d'anciennes traditions relatives au dieu Thor, détenteur d'un célèbre marteau, ou à Sucellos, divinité gauloise représentée avec un maillet.Puis vient la Ste Barbe ou Barbara le 4 décembre. Patronne des artilleurs et des pompiers, elle protège de la mort. Ce jour-là on coupait des rameaux d'arbres fruitiers que l'on disposait sur le poêle. La qualité de leur floraison, indiquait la récolte de l'année à venir. Le 6 décembre approche, les enfants attendent St Nicolas et ses cadeaux. En Alsace, son culte se répandit au 12è siècle. Accompagné d'un vilain personnage, Hans Trapp (assimilé aussi au père Fouettard), St Nicolas, patron des écoliers, récompense les enfants sages, alors que Hans Trapp punit les autres. L'Eglise, considérant que seul l'Enfant Jésus devait apporter les cadeaux, supprima St Nicolas. C'est ainsi qu'à partir de la Réforme, on vit apparaître le Christkindel "l'enfant christ" ou "l'enfant lumière", seul personnage autorisé à apporter les cadeaux. Cependant St Nicolas restera toujours un personnage important, remplaçant le christkindel dans certaines régions. La fête du 6 décembre persista dans les milieux catholiques où un jeune homme se revêtait d'un habit d'évêque et, accompagné du "Hans Trapp", passait le soir du 5 décembre, dans tout le village et distribuait aux enfants des pains d'épices, des pommes et des noix. Dans les familles on confectionnait des brioches en forme de St Nicolas dont les yeux étaient représentés par des raisins secs. Puis, la période de l'Avent prenait fin avec les nuits bruyantes (les 3 derniers jeudis de l'avent). Pour éloigner les mauvais esprits (que l'on peut rapprocher de la chasse sauvage menée par Odhinn-Wotan et son cortège de guerriers), un groupe de jeunes gens parcourait les villages, faisant un vacarme épouvantable à l'aide d'instruments divers et hétéroclites.

Le Christkindel arrive la nuit de Noël.

Il est des personnages bien étranges dans le Noël alsacien : le Christkindel, Hans Trapp, d'r Birckeresel ... Il était une fois ... une nuit de Noël ! La nuit tombe ! Le vent souffle à travers les arbres qui plient sous le poids de neige ... Lorsque "dling, dling". "C'est le Christkindel" chuchotent les enfants quelque peu affolés. Ils savent que le Christkindel est accompagné de Birckeresel, l'âne à bec et du vilain Hans Trapp qui emmène les enfants méchants dans son sac ... Ils ont pris soin de laisser une botte de foin pour l'âne, qui bien que très bruyant est inoffensif. La porte de la maison s'ouvre, et laisse apparaître une dame tout de blanc vêtue, portant une couronne de bougies sur la tête. Le Christkindel ressemble à une fée. Mais tout à coup, un bruit épouvantable, le sol tremble, on entend un bruit de chaînes, c'est Hans Trapp. Il trépigne, il gémit, il ressemble à un abominable vieil homme voûté, vêtu de noir, avec une longue barbe de chanvre, des cornes et un grand chapeau. D'une main il tient un grand sac, destiné à emporter les enfants, de l'autre une chaîne. Il furète dans toute la pièce en regardant les enfants. "Avez-vous été sages cette année" lance-t-il aux enfants apeurés. "Oui" répondents-ils hésitants. "Oh ! oh ! mais je vais les emporter dans la forêt, les vilains. As-t-on de la place dans notre sac !!!". "S'il vous plaît, crient les enfants, on demande pardon, on sera gentil toute l'année". ... "Bon cela va pour cette fois, mais attention, je reviendrai l'année prochaine". Puis le Christkindel chante et récite la prière avec les enfants qui lui offre un bredele (voir les recettes de Noël).

La maison s'emplit de joie. Il est temps de partir, le Christkindel disribue les cadeaux, et jette des noix et des noisettes de son panier en guise d'adieu. La petite troupe quitte la maison pour regagner le froid à la quête d'autres demeures. Ainsi se déroulait la nuit de Noël en Alsace. Le Christkindel fit son apparition au 16è siècle. Ce personnage est plein de contradiction : il est représenté comme une jeune fille aux longs cheveux, et pourtant symbolise l'Enfant-Jésus. Il rappelle la déesse-mère primitive, chez les gaulois, qui vole dans les airs pour regagner l'autre monde au solstice. Quand au terrible Hans Trapp, on dit qu'il vient d'un personnage historique, Hans von Dratt, qui régnait sur Wissembourg comme un véritable despote. Une autre version parle d'un personnage imaginaire qui tient son nom du verbe "tappe" ou 'trappe" en alsacien, qui veut dire "marcher bruyamment". Ces deux personnages étaient accompagnés de peckersel ou d'r Birckeresel. Il ressemble à un homme avec une tête d'âne à bec, porte une cloche, un gourdin, un lourd sac de pommes.

Le 24 décembre, la nuit sainte

Après le passage du Christkindel, toute la famille se rendait à l'église pour la messe de minuit. Mais avant de partir, le père de famille choissisait la plus grosse bûche dans son tas de bois. Elle devenait le "wihnachstklotz" ou "baamstamm" la bûche de Noël. Les enfants devaient la décorer de houx et de baies sauvages.Elle devait se consumer doucement pendant la durée de la messe. Le maître de maison l'aspergeait de vin ou d'eau bénite et la mettait dans la cheminée. Au retour de la famille, on recueillait les cendres, pour les disperser avant l'Epiphanie, dans les champs. "Les récoltes seront meilleures", disait-on. Elles pouvaient être aussi conservées dans le grenier de la maison. Elles la protégeaient ainsi des tempêtes et des orages. Dans certains villages alsaciens, ce rituel est toujours suivi.

Prédire les récoltes de l'année

Le soir du 24 décembre, on sortait la rose de Noël, "wihnachtrose", de sa boîte. Il s'agissait d'une véritable rose, l'anastatica hierochuntica, cultivée en Palestine ou en Egypte. Cette fleur séchée et fermée se conservait dans une boîte pendant des années. On la disposait dans un vase, le soir de Noël avant de partir pour l'église. Au retour, si la rose était largement ouverte, le vin de l'année à venir serait un grand millésime et les récoltes abondantes. Cette tradition existe toujours aujourd'hui et l'on trouve encore des roses de Noël.

L'eau sacrée

Appelée le "Heilwoog" ou "Heiliwog". Pendant les 12 coups de minuit, l'eau des ruisseaux et des fontaines étaient sacrée. Les fermiers allaient chercher le bétail, et remplissaient l'abreuvoir de cette eau. Tout animal qui la buvait, était protégé des maladies. Chaque maison avait sa fiole pour se préserver des épidémies.

Puis le village se réunissait dans l'église. Pour voir les sorcières, il fallait se munir d'un trépied ou d'un tabouret fait de 9 essences de bois et de s'installer au fond de l'église, on voyait alors les sorcières qui tournaient le dos à l'autel. Au retour, la veillée de Noël commençait : chants, danses, légendes la composait.

Mais la nuit de Noël n'avait pas pour autant chassé les mauvais esprits, elle annonçait une période d'effroi : le cycle des 12 jours qui allait de Noël à l'Epiphanie (Théophanie). Il s'appelait "s'kleine johr" (la petite année) puisque chaque jour représente un mois. Les paysans notent encore le temps qu'il fait pendant cette période, pour les prévisions de l'année.

Les raunächte

C'est aussi une période sombre appelée "raunächte", les nuits sauvages, pendant lesquelles le cortège du chasseur sauvage passait dans les villages. Il symbolisait le combat entre les forces des ténèbres et les forces du bien (parties le 30 novembre). Si le chasseur prononçait un prénom, la personne qui répondait à son appel, était enlevée. Il était présent toutes les nuits pendant le cycle. Le jour de Noël, jour de festin, entame la petite année. Les enfants allaient visiter leurs parrains et marraines pour recevoir leurs cadeaux ou leurs friandises. Le 26 décembre, on embauchait les valets et les servantes au marché. Le soir, une fête était donnée pour leur souhaiter la bienvenue dans la famille. Le jour de la St Jean, le 27 décembre, on buvait le vin porte-bonheur "Johannistrunk". Une légende racontait que St Jean but du vin empoisonné, sans souffrir de malaise. Le cycle des 12 jours était ponctué de multiples cortèges d'enfants qui partaient à la quête de gâteaux et de friandises. Les jours les plus symboliques de la période restaient la St Sylvestre, le 31 décembre et l'Epiphanie (Théophanie) le 6 janvier.

La Saint Sylvestre

La nuit du 31 décembre était proche de la nuit de Noël, tant elle étaient riche de traditions. Les jeunes garçons, par exemple, dressaient devant la maison de leur fiancée, un sapin. Cette nuit-là, on offrait un bretzel à celle ou à celui qu'on aimait, comme gage d'amour. Vers minuit, les villages tremblaient aux sons des coups de feu. On savait alors que la nouvelle année commençait. Les garçons tiraient des coups de fusil sur les volets de leur fiancée, qui leur jetait des gâteaux leur souhaitant bonne année. Aujourd'hui les pétards sont de rigueur dans toute l'Alsace. Ce vacarme devait chasser les démons, qui disparaissaient à l'Epiphanie.

L'Epiphanie

Le 6 janvier marquait réellement le début de l'année. Ce jour était consacré aux rois mages : Gaspar (Caspar en alsacien), Melchior et Balthazar. On traçait leurs initiales C. M. B. sur les portes des maisons pour se protéger des incendies et inondations. C'est ainsi que se termine le cycle des 12 jours, emportant avec lui le cycle de Noël.

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