EGLISE ORTHODOXE D'ESTONIE

Chapitre

Orthodoxie

 
 
 
 

LES CELEBRATIONS DU TEMPS DE PAQUES

" Cette messe de minuit devait rester pour Nekhlioudov un des plus profonds et des plus lumineux souvenirs de sa vie.
Le service venait de commencer, lorsque, par une nuit d'encre faiblement éclairée çà et là par des reflets de neige, il pénétra dans la cour de l'église sur son cheval qui, en pataugeant dans les flaques d'eau, chauvait des oreilles à la vue des lampions allumés.
Les paysans, reconnaissant le neveu de Maria Ivanovna, menèrent son cheval à un endroit sec. Nekhlioudov mit pied à terre et, conduit par eux, entra dans l'église déjà pleine.
Sur la droite se tenaient les hommes : les vieux en caftans confectionnés à la maison, en sandales de tille (écorce de bouleau), les jambes entourées de bandes de toile blanche ; les jeunes, en caftans de drap neuf, la taille serrée par des écharpes éclatantes, portaient des bottes. A gauche, les femmes, avec de grands fichus de soie écarlate sur la tête, en justaucorps de velours à manches rouge vif, en jupes bleues, vertes, ponceau, multicolores, et chaussées de bottines ferrées aux talons. Derrière, les vieilles, humbles et modestes, coiffées de fichus blancs, en caftans gris, chaussées de souliers ou de sandales de tille neuves, avaient revêtu leurs jupes d'autrefois; entre les deux groupes luisaient les cheveux huilés des enfants parés pour la fête. Les paysans faisaient de grands signes de croix et de profonds saluts qui secouaient leurs longues chevelures ; les femmes, les vieilles surtout, fixant de leurs yeux déteints l'icône auréolée de cierges, appuyaient fortement leurs doigts joints sur le fichu qui recouvrait leur front, sur leurs épaules et sur leur ventre et, tout en marmonnant, se courbaient ou tombaient à genoux.
Imitant les grandes personnes, les enfants priaient avec affectation quand ils se sentaient regardés.
Les dorures de l'iconostase jetaient des feux au milieu de centaines de petits cierges, qui entouraient les grands cierges de Pâques, enrobés de papier doré. Le grand candélabre aussi était garni et du chœur parvenaient les joyeuses mélodies des chanteurs bénévoles dont les basses mugissantes soutenaient les sopranos aigus. [...]
Tout avait un air de fête ; tout était triomphal, joyeux et très beau : les prêtres avec leurs chasubles d'argent barrées d'une croix d'or, le diacre et les sacristains revêtus de leurs plus belles dalmatiques brodées d'or et d'argent ; les chantres bénévoles endimanchés, la chevelure brillante d'huile ; les airs joyeux et entraînants des chansons de fête, les bénédictions sans cesse renouvelées que le prêtre donnait à la foule, avec trois cierges réunis en leurs sommets et ornés de fleurs, et toujours ces exclamations sans cesse, sans fin reprises : "Christ est ressuscité ! Christ est ressuscité ! " (Résurrection, L. Tolstoï).

Le dimanche des Rameaux
Le dimanche des Rameaux, ou dimanche des Palmes, ou Pâques fleuries, ouvre la Semaine sainte, la dernière semaine avant la Résurrection. Il rappelle l'entrée triomphale de Jésus dans Jérusalem. Ce fut le seul moment de triomphe terrestre du Christ, suivi bien vite de l'humiliation, de la torture et de la mort. La liturgie (catholique) du dimanche des Rameaux reproduit ce double mouvement : tout d'abord la bénédiction des rameaux et une procession avant de pénétrer dans l'église, puis, à l'intérieur de celle-ci, une messe au cours de laquelle pour la première fois est lu le récit de la Passion.
La procession se déroulait à Jérusalem, dès le 4ème siècle. Ce jour-là, les chrétiens partaient, comme Jésus, du mont des Oliviers, puis se rendaient à la basilique du Saint-Sépulcre. L'Eglise romaine inclut la bénédiction et la procession dans sa liturgie à partir de la seconde moitié du 9ème siècle. Les fidèles se réunissent devant l'église ou à un point donné, et le prêtre bénit les rameaux ou les palmes. Il récite plusieurs oraisons qui expliquent le sens symbolique des rameaux et demande sur eux la bénédiction divine. Puis il bénit l'encens qui, selon l'usage de l'Eglise, doit parfumer la voie d'une procession et tous se mettent en marche, rameaux à la main, en chantant une antienne. A la fin de la procession, les choristes entrent dans l'église dont les portes sont alors fermées. Ils représentent les anges qui attendent l'arrivée de Jésus dans la Jérusalem céleste. Après un dialogue entre les deux chœurs, le prêtre frappe trois fois à la porte de l'église avec le montant de la croix. Ces coups portés rappellent que le sacrifice de la croix permet l'accès au ciel, assure la rédemption des péchés. La porte s'ouvre et le prêtre, suivi des fidèles, pénètre dans l'église pour célébrer la messe. Chacun tient à la main le rameau de buis ou les palmes bénits.

Dans la liturgie orthodoxe, le dimanche des Palmes est associé à la célébration de la veille : le samedi de Lazare. Jésus, avant de monter à Jérusalem, avait fait revenir d'entre les morts son ami Lazare qui, depuis quatre jours, était enseveli. " Ces deux fêtes ont un thème commun : le triomphe et la victoire. Le samedi a révélé l'ennemi qui est la mort, le dimanche annonce la victoire, le triomphe du royaume de Dieu et l'acceptation par le monde de son seul roi, Jésus-Christ" (Olivier Clément, Le Mystère pascal).

La Semaine sainte ou la dramaturgie de la Passion en Occident.
Appelée " grande semaine ou "semaine peineuse " depuis le 4ème siècle, la Semaine sainte marquait un temps d'arrêt dans le rythme de l'année. Une loi de Théodose Ier en 380 interdisait les plaidoiries pendant cette semaine et la suivante, et arrêtait toute l'activité juridique. Jusqu'au 8ème siècle toute activité servile était interdite. Du soir du jeudi saint au dimanche, le jeûne était total, et les cloches qui, dès le 6ème siècle, ponctuaient tout le déroulement du jour, cessaient de sonner, faisant disparaître les repères de temps. La vie quotidienne était suspendue au mystère de cette semaine, pendant laquelle la vie et la mort, la disparition et l'apparition nouvelle étaient fortement symbolisées, sinon reproduites à l'intérieur des églises, par la liturgie même. Car si les trois premiers jours de la semaine ne se différencient pas fondamentalement du rituel connu, les trois derniers marquent une rupture forte, ponctuée de cérémonies de deux ordres : les premières répétant, reproduisant les actes du Christ, comme le lavement de pieds ou le chemin de croix, et les secondes concrétisant le renouveau : bénédiction du feu nouveau et de l'encens, inauguration du cierge pascal, bénédiction des fonts baptismaux et, il y a quelques siècles, baptême des catéchumènes. Chacun de ces trois jours a sa fonction dramatique propre, et l'effet est accentué par les métamorphoses de l'intérieur de l'église: passage de la lumière à la nuit, puis de la nuit à la lumière. La liturgie amène à incarner ce "passage ", cette pâque, au sens étymologique du mot.
Le jeudi saint
Ce jour commémore le dernier repas que prit Jésus avec ses disciples, la Cène, puis l'abandon des Apôtres et la trahison de Judas. Les célébrations qui se déroulent pendant cette journée illustrent ces deux événements : un office des Ténèbres qui marque l'entrée dans la nuit de la mort, une messe longue et triomphale où l'Eucharistie, ce trait d'union laissé par Jésus avant de disparaître, est fêtée, puis la mise à nu de l'église, le dépouillement du deuil.
L'office des Ténèbres. Pendant les trois derniers jours de la Semaine sainte, l'église est plongée dans les ténèbres : on place dans le sanctuaire un chandelier triangulaire sur lequel sont disposés quinze cierges. Ils sont éteints successivement pour symboliser l'abandon des apôtres. Seul celui du sommet reste allumé. Il représente Jésus-Christ et sa résurrection.
La messe du jeudi saint. Jadis trois messes solennelles étaient célébrées, et la première était précédée de l'absolution des pénitents publics. Ils se pressaient aux portes de l'église, en vêtements négligés, la barbe et les cheveux en broussaille. Depuis le mercredi des Cendres, ils ne s'étaient ni lavés ni rasés. Ils se tenaient prosternés au seuil de l'église. Pendant ce temps, à l'intérieur, l'évêque récitait les sept psaumes de pénitence, puis venait s'asseoir au milieu de l'église. Tous les officiants avaient revêtu des ornements rouges. L'archidiacre exhortait d'abord les pénitents à se repentir, puis l'évêque apparaissait aux portes de l'église et les incitait à son tour au repentir. Il les menait à l'intérieur de l'église où tous se prosternaient. Tous les pénitents allaient se revêtir de vêtements de fête pour assister à la messe et y communier avec les autres fidèles. A Rome, l'absolution des pénitents avait été remplacée par la bénédiction papale, donnée de la loggia de Saint-Pierre, puis elle fut déplacée à Pâques.
La seconde messe était réservée à la consécration des saintes huiles destinées aux baptêmes de Pâques et de toute l'année nouvelle.
Pour la troisième messe, tous les officiants revêtaient des ornements verts, ce qui explique qu'en Allemagne ou qu'en Alsace le jeudi saint soit appelé jeudi vert. Cette messe est la seule qui ait subsisté. C'est l'une des plus solennelles de l'année : les ornements sont blancs et les signes de deuil ont disparu. Au cours de la messe se déroulent des rites inhabituels. Dès après le Gloria, les cloches arrêtent de sonner et sont remplacées par des crécelles ou des battoirs de différentes formes : " Les enfants étaient chargés d'agiter des crécelles pendant l'office. Ils en profitaient naturellement pour faire résonner ce bruit sec pendant beaucoup plus de temps qu'il ne l'aurait fallu. En Pologne, il y a aussi de grandes crécelles, comme des roues de bicyclettes, que l'on fait rouler devant soi. On faisait le tour de l'église, à partir du Vendredi saint avec ces grandes crécelles ; et là encore, c'était surtout les enfants qui s'en chargeaient" (récit polonais).
Après la messe, l'église change de visage. Les autels sont dépouillés de leurs ornements, le tabernacle est vide, l'église est comme morte ; ne résonnent plus jusqu'au samedi que les cliquetis des crécelles.

Le lavement des pieds du jeudi saint. Cette cérémonie qui reproduit le geste de Jésus lavant les pieds des Apôtres est très ancienne. Dès les premiers temps du christianisme, elle était célébrée par tous, pauvres ou riches. Des premiers chrétiens, cette pratique passa dans les organisations monastiques et parmi les divers ordres anciens, il en est plusieurs, notamment les bénédictins, qui l'ont conservée jusqu'à ce jour. En Irlande, où la vie monastique s'organisa très tôt pour rayonner ensuite sur l'Angleterre et sur le continent, le lavement de pieds antérieur à la Pâque est certifié dès le 4ème siècle. Au 6ème siècle, il était exécuté le jeudi saint par saint Brendan et ses moines ; au 8ème siècle, il est décrit par le poète théologien Alcuin. Ensuite le " Mandatum novum " s'imposa même aux rois et aux reines d'Angleterre : en 1320, le roi Edouard lava les pieds de cinquante hommes pauvres ; en 1381, Edouard III ajouta des dons en nombre égal à celui des années du souverain ; en 1572, Elisabeth I fit organiser une cérémonie compliquée pour trente-neuf femmes pauvres ; en 1616, le roi Jacques, âgé de cinquante-deux ans, essuya et baisa les pieds lavés d'autant d'hommes pauvres. En 1736, la cérémonie fut supprimée à la cour, mais à chaque " Maundry Thursday " (jeudi de la lessive), l'abbaye de Westminster continue à distribuer les aumônes prescrites. Des coutumes plus ou moins semblables existèrent dans toutes les cours des princes catholiques. (Van Gennep, Manuel de folklore contemporain.) Les rois de France lavaient eux aussi les pieds à douze pauvres, puis les servaient à table, accompagnés de leurs principaux officiers. Aujourd'hui, à Rome, le souverain pontife lave les pieds à douze prêtres, et dans de nombreuses églises, l'évêque ou les prêtres, tête nue, après s'être ceints d'un linge, font de même.

Le Vendredi saint
" De la lumière du grand jeudi nous passons aux ténèbres du Vendredi, le jour de la Passion du Christ, de sa mort et de sa sépulture. L'Eglise primitive appelait ce jour " la Pâque de la croix ", parce qu'il est vraiment le commencement de cette Pâque ou Passage dont tout le sens nous sera révélé progressivement ; d'abord dans la paix du grand et saint Sabbat, puis dans la joie du jour de la Résurrection. Mais d'abord, les ténèbres " (Alexandre Schmemann, Le Mystère Pascal).
Cette journée est la plus sombre de la Semaine sainte. L'église se voile de noir ou de sombre. Le prêtre et les officiants s'avancent vêtus de noir, sans luminaires et sans encens et se prosternent devant l'autel nu. La croix est voilée, les chandeliers portent des flambeaux de cire jaune, comme en un jour de funérailles, le pupitre de l'évangile est vide. L'église dégage une forte impression de deuil, l'obscurité du tombeau. Ce jour-là, l'église est le théâtre de deux cérémonies : un office du matin, puis le chemin de la croix, dans l'après-midi, quand il ne se déroule pas en procession à l'extérieur de l'église.
Au cours de l'office du matin se déroule la cérémonie de l'adoration de la croix. Elle date du 4ème siècle, lorsqu'on découvrit la véritable croix à Jérusalem. On l'exposait le Vendredi saint en l'église du Saint-Sépulcre. Vers le 7ème siècle, l'usage se répandit de célébrer l'ostension et l'adoration de la croix dans toutes les églises. Les oraisons terminées, le prêtre quitte sa chasuble et se place du côté de l'épître. On lui apporte une croix voilée. Il se tourne vers les fidèles et découvre le sommet de la croix. Tous se prosternent en chantant un hymne d'adoration. Le prêtre s'avance un peu et découvre le bras droit de la croix pendant que les fidèles se prosternent à nouveau, puis, en reprenant le même chant, le prêtre se place au milieu de l'autel et découvre entièrement la croix. Il fléchit trois fois les genoux et baise les pieds du Christ.
La journée du Vendredi saint est consacrée à la prière, à la souffrance du Christ vécue par l'Eglise entière, mais le rituel catholique romain invite à la réunion des fidèles, et l'Eglise accorde même des indulgences, plénières et partielles, applicables aux âmes du Purgatoire, à ceux qui participent à cette mémoire incarnée qu'est le chemin de la croix. Dans différents pays, comme l'Italie ou la Pologne, les fidèles vénèrent le " tombeau " du Christ
" Le Vendredi saint, la nuit, on fait dans chaque église de Pologne, même les glus petites, un tombeau du Christ. C'est une sorte de grotte, de caverne, en papier mâché, dans laquelle repose le corps grandeur nature du Christ. L'entrée de la grotte est un peu masquée par des pierres, et tout autour du tombeau il y a un monceau de fleurs, de plantes, de décorations. Le tombeau était quelquefois recouvert aussi de tissus, il devait ressembler à un tombeau des temps anciens, des temps du Christ. Et, de da nuit du Vendredi saint à la résurrection, on montait la garde devant le tombeau. (récit polonais).
Le chemin de la croix. Cette cérémonie a pour origine le chemin parcouru par Jésus du prétoire au Calvaire, la Via dolorosa (Voie douloureuse). Il est dit qu'après la Pentecôte, la Vierge et les Apôtres parcoururent à nouveau cet itinéraire en priant, et qu'ils rappelaient aux fidèles ou aux passants ce qu'ils avaient vu en ce jour funeste. L'usage de refaire ce chemin se répandit et il n'était pas de pèlerin qui, arrivé à Jérusalem, ne mette ses pas dans les traces de Jésus. Quand Jérusalem fut sous domination musulmane, les chrétiens pouvaient suivre un itinéraire, toujours le même, qui durait une journée entière. Des franciscains les guidaient, et ils parcouraient la Voie douloureuse sous l'escorte des soldats. De retour chez eux, ils aimaient à reproduire ce parcours, et de pays en pays, voire de ville en ville, le nombre d'arrêts et d'invitations à la prière variait selon les impressions qu'en avaient gardé les preux chevaliers. Ainsi, au 16ème siècle, la pratique la plus répandue fut celle " des sept chutes " que Jésus avaient faites sur le chemin du Calvaire. Il y avait donc sept tableaux, ou sept piliers, dédiés à ces chutes, et devant lesquels la procession s'arrêtait. Puis le nombre de " stations " s'amplifia, jusqu'à la quarantaine, dédiées à des incidents divers. Le chemin de croix actuel comporte quatorze stations, dont certaines, comme l'intervention de Véronique, ne figurent pas dans les textes synoptiques. Ce chemin de croix fut constitué par un carme de Louvain, Jan Pascha, qui n'était jamais allé à Jérusalem. C'était en 1503. Deux siècles plus tard, cet itinéraire fut adopté par les franciscains, il connut une grande vogue et se maintint jusqu'à nos jours. Après une prière préparatoire, les fidèles s'arrêtent et prient devant quatorze tableaux représentant des moments de la montée au Calvaire :

=>Jésus est condamné à mort
=>Jésus est chargé de sa croix
=>Jésus tombe sous le poids de sa croix
=>Jésus rencontre sa très sainte mère
=>Simon le Cyrénéen aide Jésus à porter la croix
=>Une femme pieuse essuie le visage de Jésus (Véronique)
=>Jésus tombe pour la seconde fois
=>Jésus console les filles d'Israël qui le suivent
=>Jésus tombe pour la troisième fois
=>Jésus est dépouillé de ses vêtements
=>Jésus est attaché à la croix
=>Jésus meurt sur la croix
=>Jésus est déposé de la croix et remis à sa mère
=>Jésus est mis dans le sépulcre

Les Evangiles se sont enrichis d'épisodes inédits, et c'est cet itinéraire reconstitué qui donnera naissance aux plus grandes manifestations de la période pascale, les processions avec Christ portant sa croix, pèlerins et flagellants, comme on les rencontre en Espagne ou en Italie, et surtout à la forme théâtrale de la Passion: les mystères du Moyen Age.
Le Samedi saint, la grande nuit pascale
Jusqu'au 11ème siècle, les Eglises orientale et occidentale ne célébraient aucun sacrifice les Vendredi et Samedi saints. Le jeûne était complet et la vigile pascale était de toutes la plus attendue et la plus fréquentée. Dans la nuit du samedi au dimanche, les fidèles se réunissaient à l'église pour veiller en attendant l'heure de la résurrection et assister au baptême des nouveaux catéchumènes. Le moment était d'autant plus solennel que le baptême ne se conférait que les veilles de Pâques et de la Pentecôte. Cette longue nuit de prières était ponctuée de rites aussi impressionnants que symboliques : la bénédiction du feu, de l'eau, et des nouveaux frères dans le royaume de Dieu. Cette cérémonie était la plus longue de la liturgie et la plus expressive dans sa magnificence.
La bénédiction du feu nouveau et de l'encens. Dans le sanctuaire, toutes les lumières sont éteintes. A l'extérieur de l'église, un feu tiré d'un caillou est allumé. Le prêtre, revêtu de l'aube, de la chape et de l'étole violettes, bénit le feu. I1 bénit ensuite cinq grains d'encens. Il asperge et encense le feu et les grains d'encens. Le diacre, revêtu d'une dalmatique blanche, s'approche, tenant un roseau surmonté d'un cierge à trois branches qui représente la Trinité. Il allume au feu nouveau une des trois branches du cierge. Toute l'assistance s'agenouille et rend gloire à Dieu pendant qu'on allume les deux autres branches. Cette célébration du feu nouveau s'accompagne de l'inauguration du cierge pascal. Pour une veillée plus longue qu'à l'ordinaire, il fallait un cierge de plus grande dimension. Le prêtre bénit le cierge qu'on lui présente, et grave dans la cire les lettres " alpha " et " omega ", le commencement et la fin, suivies des chiffres de l'année en cours. Les cinq grains d'encens qui ont été bénits sont placés en croix sur le cierge, représentant les cinq plaies de Jésus et les aromates qui servirent à l'embaumer. Le diacre allume le cierge pascal au cierge à trois branches. Le cortège des prêtres et des fidèles se dirige vers l'église. Dans le sanctuaire, tout à fait obscur, un assistant vient allumer son cierge à la lumière du cierge pascal, puis il transmet la flamme à son voisin qui fait de même, et progressivement l'église s'illumine de ces mille lueurs mouvantes.
Cette succession d'actes, renvoyant à la naissance de l'humanité, à la découverte du feu, n'était pas sans laisser une forte impression. Le passage de l'obscurité à la lumière opérait une sorte de magie. Les fidèles étaient prêts à écouter la lecture des douze prophéties qui allaient s'ensuivre. Pendant ces longues lectures, la nuit s'avançait, et une nouvelle cérémonie, elle aussi très symbolique, se déroulait alors : la bénédiction de l'eau et des fonts baptismaux.
La bénédiction de l'eau. A la nuit tombée, prêtres et fidèles se rendaient en procession jusqu'au baptistère, séparé de l'église. En tête du cortège venait le cierge pascal, symbole de la colonne lumineuse qui dirigea les Hébreux dans leur marche vers la mer Rouge. Suivaient immédiatement les catéchumènes, entourés de leurs parrains et marraines, puis le clergé et l'évêque. Cette procession a cessé d'être, mais les gestes sont restés les mêmes : le prêtre plonge la main dans le bassin, divise l'eau en forme de croix, il en répand ensuite des gouttes vers les quatre parties du monde, car la parole de l'Evangile doit atteindre tout l'Univers. Puis il souffle trois fois sur l'eau, en forme de croix pour la tenir à l'écart de la puissance du démon. Il plonge trois fois le cierge pascal dans le bassin et laisse tomber quelques gouttes de cire dans l'eau, comme présence du Christ dans cette eau, et mêle aux fonts baptismaux l'huile des catéchumènes et du saint chrême, symbole de l'union du Christ avec son peuple.
La cérémonie des baptêmes. Les catéchumènes étaient plongés trois fois de suite dans l'eau du bassin, et l'évêque remettait à chaque nouveau baptisé une robe blanche qu'il devait porter jusqu'au samedi suivant. Puis tous rentraient dans l'église pour participer à la communion.
Ces bénédictions accomplies à l'intérieur de l'église furent accompagnées d'autres bénédictions plus populaires, celle de l'eau, du pain, parfois du sel, et des maisons. Il était d'usage en France de venir chercher le Samedi saint un flacon d'eau bénite à l'église : "L'ancien rituel périgourdin énumérait tous les bienfaits que procure l'eau bénite, notamment celui de rompre les incantations magiques et les sortilèges, de purifier l'air, de guérir la stérilité des terres " (Van Gennep). Au 18ème siècle, on rencontrait des distributeurs d'eau bénite à domicile, que l'on remerciait d'un œuf ou deux. Cette coutume disparut au cours du 19ème siècle. La distribution d'eau bénite s'accompagnait parfois de pain bénit ou d'hosties.
La grande vigile pascale perdit de son intérêt, lorsqu'on cessa d'y baptiser des adultes et l'Eglise d'Occident anticipa peu à peu l'office et la messe. Elle la plaça même le matin du Samedi saint, ce qui entraînait une contradiction temporelle : Jésus était encore au tombeau alors qu'on chantait l'alleluia de la résurrection et que les cloches se remettaient à sonner. Puis l'usage varia selon les régions et les diocèses pour revenir ces derniers temps à la veillée pascale.

Le dimanche et l'octave de Pâques
Bien que la résurrection du Christ ait été annoncée au cours du Samedi saint, la messe solennelle a lieu le dimanche de Pâques. A Rome, comme pour le jour de Noël, c'est à Sainte-Marie-Majeure que se célébrait la messe de cette fête des fêtes, la plus grande de toute l'année. L'Eglise remercie Dieu de lui avoir rouvert le ciel par la victoire de son Fils, et elle le supplie de venir en aide à ses enfants dans leur marche vers la patrie qui est la leur désormais. L'Eglise a décoré ses sanctuaires avec magnificence et les orgues qui s'étaient tues pendant le Carême accompagnent à nouveau tous les chants. L'Alleluia, chant pascal par excellence, revient à chaque instant, le cierge pascal, symbole de la présence visible de Jésus sur la terre, éclaire l'assemblée de sa flamme radieuse et les officiants ont revêtu les ornements blancs, symboles de joie et de pureté.
Dans les temps anciens, cette joie n'était pas limitée au seul dimanche de Pâques mais s'étendait à toute la semaine qui était chômée. Les fidèles communiaient chaque jour et les nouveaux baptisés conservaient leur robe blanche, signe d'appartenance à la foi, de la vigile du Samedi saint au dimanche suivant Pâques, le dimanche de Quasimodo. La pratique s'est perdue et seul le lundi de Pâques est resté un jour férié. Les baptêmes ont été célébrés tout au long de l'année liturgique et la messe du dimanche de Pâques, exception faite de la joie exprimée en ce jour, ne se distingue plus guère des célébrations dominicales. Dans certaines régions, le prêtre bénissait les œufs ou un agneau, mais cette pratique, en France pour le moins, s'est raréfiée elle aussi. Le dimanche de Pâques semble être l'aboutissement de la Passion et l'ouverture du temps pascal, qui va de Pâques à la Trinité. C'est le point d'orgue du cycle liturgique. Les cloches sonnent à toute volée et annoncent la bonne nouvelle aux quatre coins de la terre, et à Rome, de la basilique Saint-Pierre, le souverain pontife adresse un message de paix et d'espérance au monde entier: c'est la bénédiction urbi et orbi. La traversée du désert est terminée, comme l'avait été celle des Hébreux des siècles auparavant. Le passage est accompli, la joie de Pâques transfigure chacun.

La grande nuit pascale des Eglises orthodoxes
Les Eglises orientales n'ont cessé de célébrer la veillée pascale.
" Dès notre enfance, nous attendions la Pâque, la Pâque religieuse, raconte un jeune prêtre orthodoxe d'origine russe. Pour nous qui étions petits, la préparation de la fête cessait le soir de Pâques, car avant sept ans, nous n'allions pas à l'église la nuit. Après cet âge, nous assistions à l'office, mais sans en comprendre tout le sens : les gens étaient très joyeux, le prêtre allait et venait dans l'église, les chants résonnaient, c'était la fête, la fête religieuse. Puis se déroulaient les agapes pascales, et tout le monde chantait, mangeait, riait.
Plus tard, j'étais servant à l'église, et c'est alors que j'ai découvert le sens du carême, qui commence par le dimanche du Pardon. Mes parents respectaient tout le carême. Ils ne mangeaient ni viande, ni laitages, uniquement des poissons et des légumes cuits à l'eau. Pendant la Semaine sainte, ils supprimaient le poisson, considéré par les moines comme nourriture de fête. Pour les enfants, le régime était moins sévère. Ce qui me frappait, c'était l'équilibre entre l'effort que nous faisions sur nous-mêmes, dans les prières, dans les restrictions alimentaires, et la très grande beauté et profondeur des offices pendant les semaines de carême. Ces offices marquent pour toute la vie.
La Semaine sainte commençait avec le samedi de Lazare. Ce samedi était comme un dimanche, puisque Lazare avait été ressuscité, c'était comme une répétition de la résurrection du Christ. Le dimanche des Rameaux était attendu par les enfants. L'église était décore de feuillages et nous ramenions à la maison nos rameaux bénits. Nous les placions derrière l'icône, où ils restaient jusqu'à l'année suivante. Ceux de l'année précédente étaient brûlés.
Pendant les trois premiers jours de la Semaine sainte se déroule la lecture des quatre évangiles dans leur totalité. Puis arrive le grand Jeudi, avec la liturgie de la sainte cène et le soir l'office des douze évangiles. Ce sont bien sûr des morceaux choisis parmi les quatre évangiles, relatant la Passion du Christ. Chacun est debout et tient une bougie que l'on allume avant chaque lecture. Après l'office, la bougie allumée était ramenée à la maison. Quand j'étais enfant, mon père traçait une croix sur la porte de la maison avec la suie de la bougie.


Le Vendredi, jour de la Passion du Christ, est malheureusement consacré à la préparation des œufs et des gâteaux de Pâques. Ce jour-là se déroule un office très particulier, celui de l'épitaphion. Il s'agit d'une icône ou d'un tissu brodé représentant le Christ gisant. Le prêtre avance, tenant l'Evangile, pendant que quatre hommes portent l'épitaphion au-dessus de lui. Ils viennent au milieu de l'église où a été préparé le tombeau du Christ. C'est une estrade couverte de fleurs, au pied de la grande croix. Ils déposent l'épitaphion sur le "golgotha ", le tombeau. Tous les fidèles suivent le prêtre et viennent vénérer le corps du Christ gisant dans le tombeau. Le soir se déroule l'office de l'ensevelissement. Pendant un court instant, on peut entendre les chants de Pâques et l'église est illuminée.

La liturgie du Samedi saint commence par les vêpres. Après l'épître, pendant un chant aux multiples versets, le prêtre revêt ses ornements blancs. L'autel et les icônes sont débarrassés des tissus sombres qui les recouvraient. Puis est lu l'Evangile de la Résurrection. Les fidèles rentrent chez eux, à l'exception de ceux qui décorent l'église. Alors arrive le moment exceptionnel. L'épitaphion est remis sur l'autel et nous sortons tous en procession autour de l'église. En tête viennent la croix et le luminaire, puis les porteurs d'icônes. Le prêtre tient un cierge à trois branches. Nous chantons tous les chants de la Résurrection. Après avoir fait le tour de l'église, nous revenons devant les portes qui sont alors fermées. Le silence se fait. Le prêtre encense les icônes, puis il annonce à chacun " la bonne nouvelle " : "Christ est ressuscité ! Christ est ressuscité ! " Les fidèles lui répondent avec exubérance : "En vérité, il est ressuscité! " Les chants de Pâques résonnent et ne cesseront pas. Le rythme est raide, scandé. A l'intérieur de l'église, tout est illuminé. La moindre petite lumière est allumée. Il y a des fleurs partout. Entre le sermon de St Jean Chrysostome et la liturgie de Pâques, tout le monde s'embrasse. Les portes royales de l'autel sont ouvertes pour montrer qu'il n'y a plus de différence entre le ciel et la terre, que nous sommes les invités du Seigneur pendant toute cette fête. La liturgie nous conduit à la joie de la fête de Pâques. "

BIBLIOGRAPHIE

- Tolstoï, Résurrection, Gallimard
- A. Schmemann, O. Clément, Le mystère pascal, spiritualité orientale n° 16, Abbaye de Bellefontaine
- C. Andronikoff, Le sens des fêtes, Le Cerf
- Van Gennep, Manuel du folklore contemporain, carnaval, carême, Pâques, Grands Manuels, Picard
- C. Gaignebet, M.C. Florentin, Carnaval, Payot
- E. Faral, La vie quotidienne au temps de St Louis, Hachette
- J. Poueigh, Le folklore des pays d'Oc, la tradition occitane, Petite bibliothèque Payot
- Michelle Bardout, La paille et le feu, Berger-Levrault
- J. Peyré, souvenirs d'un enfant, Grasset

CHRIST EST RESSUSCITE !

EN VERITE IL EST RESSUSCITE !

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