Il n’est de secret pour personne que bon nombre de sectes
s’inspirent ou utilisent les enseignements du Christianisme
pour promouvoir leurs propres théories. Une des caractéristiques
de ces sectes c’est qu’elles offrent une apparence de
force et de crédibilité. Elles créent pour leurs adeptes
une dynamique d’action et de solidarité telle que ceux-ci
finissent par être convaincus qu’eux seuls sont possesseurs
de toute la vérité. Et il ne leur viendrait en aucun
cas à l’esprit de se laisser aller à croire que cet
absolutisme dans leur certitude pourrait n’être que
subjectif, superficiel et souvent pour nombre d’entre
eux de courte durée. Que cet absolutisme n’est rien
d’autre que la confirmation de la non-vérité qu’elles
propagent.
Lorsque nous
lisons Paul dans 2 Timothée 4/3 : « Viendra un temps
en effet, où certains ne supporteront pas la saine doctrine,
mais, au gré de leurs propres désirs et l’oreille leur
démangeant, s’entoureront de quantité de maîtres » et
Tite 2/1 : « Pour toi, enseigne ce qui est conforme
à la sainte doctrine », nous voyons qu’il considère
la secte comme une maladie qui gangrène tout le Corps
ecclésial. Cette description nous la retrouvons aussi
chez les Pères de l’Eglise.
Parmi les
faiblesses que relèvent les textes patristiques à propos
des sectes, il convient de souligner leur manque de
mesure, particulièrement en matière de Vérité de la
Foi. De la même façon que la maladie est un dérèglement
de la santé, qui agit tantôt avec excès (fièvre, tension
artérielle élevée…) tantôt avec insuffisance (hypothermie,
tension artérielle basse... ), de la même façon la
secte se positionne vis-à-vis de la Vérité soit par
exagération soit par insuffisance. Pour mieux comprendre
ce que nous venons de dire, lisons ce passage de Saint
Jean Chrysostome à propos de deux sectes de son époque,
celle de Marcion et celle de Savellius : « Vois, écrit-il,
comment toutes ces personnes sont tombées dans l’erreur
par manque de mesure, ce qui les mène nécessairement
à l’excès ou à l’insuffisance. Tel fut par exemple le
cas pour la secte de Marcion : elle affirma l’existence
d’un autre dieu qui n’existe pas. Voilà ce qui fait
l’excès. Quant à celle de Savellius, elle prétend que
le Fils et le Père et le Saint Esprit ne sont qu’une
seule et même personne (**). Voilà où réside l’insuffisance. Quant à nous, nous ne connaissons qu’une seule et
unique Foi, ce qui nous préserve d’un nombre incalculable
d’ hérésies… aussi convient-il de considérer comme dénaturé
et falsifié tout ce qui est rajouté ou supprimé dans
notre manière de croire.
Mais qu’entend-on
au juste par le terme mesure de la Vérité ? Saint Grégoire
le Théologien nous donne la réponse dans ses Poèmes
Dogmatiques (446,7) : « la Mesure, c’est Dieu Lui-même. Et Saint Athanase le Grand nomme Dieu « auto-vérité
parce que son essence est immuable. A cause de cela
la seule mesure stable et inaltérable à travers tous
les siècles ne peut être que Dieu seul. Ceci bien entendu
s’applique pareillement aux trois personnes de la Sainte
Trinité.
Pour nous
les hommes cependant c’est essentiellement la personne
du Christ qui révèle ce que nous avons explicité plus
haut parce qu’Il est pour nous « le chemin et la vérité
et la vie »( Jn 14,6 ), « l’ Alpha et l’Ômega, le commencement
et la fin…celui qui était, qui est et qui vient »( Apoc.1,8
). Et parce que, écrit Saint Grégoire de Nysse ( in
Cantique des Cantiques 6,256,17 ), Jésus-Christ, en
tant que Tête du Corps de l’Eglise, façonne avec sa
propre essence le visage de l’Eglise, les fidèles peuvent
voir en Lui de façon plus nette le Dieu invisible.
Un Dieu qui
nous a sauvé non pas en nous soumettant à une quelconque
puissance, violence, crainte ou terreur mais en se faisant
semblable à chacun d’entre nous, en prenant notre propre
chair. Dieu est précisément cette Vie même que l’homme
a gaspillée et perdue en se livrant irrévocablement
à la corruption du temps de ce monde et à la mort.
Et cette Vie, nous dit Jean l’Evangéliste (1,2 ), «
s’est manifestée », s’est fait connaître non pas comme
théorie philosophique ou principe d’organisation mais
comme Visage. « Oui, le Christianisme nous enseigne
et confesse, écrit Alexandre Schmemann, qu’en un endroit
précis, à un moment précis de la courbe du temps, la
plénitude de la Vie s’est introduite dans l’humanité
sous la forme d’un Visage dont la nature humaine est
parfaite, le visage de Jésus-Christ originaire de Nazareth
en Galilée … Le Christ est le Sauveur du monde, tel
est le plus ancien des messages chrétiens. Et Il a
sauvé le monde et nous en nous donnant la possibilité
de vivre une vie délivrée du temps et de la mort ; c’est
en cela que réside notre salut. »
Dans la lettre
aux Philippiens ( 1,21 ) il est écrit : « Pour moi,
vivre c’est Christ et mourir m’est un gain. La foi
chrétienne ne signifie en aucun cas réconciliation avec
la mort mais révélation de la mort parce que précisément,
comme le proclame si bien l’Apôtre Paul, elle est avant
tout la révélation de la vraie Vie.
Ce que la
plupart des sectes propose, c’est de l’aide immédiate,
des « miracles » pour atténuer les souffrances de la
vie, de quoi soulager en quelque sorte des maux du quotidien
ou pour donner une réponse simplement humaine à des
préoccupations essentiellement matérielles. En d’autres
termes un vécu religieux de bon marché et de marchandage
qui dessert les visées égoïstes des hommes, lesquels
attendent de Dieu qu’Il se mette au service de leurs
intérêts personnels. Pourquoi pas après tout !
Mais tel
bien entendu n’est pas le but fondamental du Christianisme. Il ne s’agit pas pour lui d’aider les hommes, répétons-le
encore une fois, à se réconcilier avec toutes les formes
de corruption ( maladies, détresses … ) ou de mort dans
une ambiance de fraternelle solidarité mais de révéler
la Vérité sans laquelle il n’y a pas de salut. Et le
salut que propose le Christianisme n’est pas conciliable
avec l’idée de l’aide que se font les sectes dont le
but principal est de satisfaire les besoins de l’homme. Car si tel devait être le cas, alors le Christianisme
n’aurait aucune raison d’exister parce que ces autres
religions réussissent cela, disons-le sans complexe,
bien mieux que lui. « Pour moi, vivre c’est Christ…
», écrit Paul. Il n’est pas possible de comprendre
le message du Christianisme si nous ne laissons pas
le Christ nous révéler le sens et le contenu de la vraie
Vie. Etre chrétien, croire en Christ signifie aujourd’hui,
comme hier et demain, que l’on reconnaît avec certitude
que le Christ est la Vie de chaque vie, qu’Il est la
Vie même et par conséquent ma propre vie. Il n’y a
pas d’autre voie pour rester dans la mesure que prônent
les Pères de l’Eglise : en accueillant le Christ Lui-même
en tant que la Vie et la lumière de la vie. « La vie
s’est manifestée - écrit l’Apôtre Jean dans sa 1ère
épître au chapitre 1/versets 2 et 3 - et nous avons
vu et nous rendons témoignage et nous vous annonçons
la vie éternelle, qui était tournée vers le Père et
s’est manifestée à tous ; ce que nous avons vu et entendu,
nous vous l’annonçons à vous aussi, afin que vous aussi
vous soyez en communion avec nous. Et notre communion
est communion avec le Père et avec son Fils Jésus Christ.
Telle est
la Bonne Nouvelle que Dieu nous a faite pour notre salut. Et la réussite de ce projet se fonde essentiellement
sur la vérité de la Foi ainsi révélée. Chaque déformation
de cette Vérité, aussi insignifiante soit-elle, déforme
le Visage de Dieu ; pire encore, elle renie complètement
Dieu. Tout est, alors, remis en cause. En effet, «
quiconque va trop avant et ne demeure pas dans la doctrine
du Christ, n’a pas Dieu ( 2Jn9 ).
Les sectes
quant à elles ne savent pas, ne veulent pas ou ne peuvent
pas confesser cela. Elles prônent des thérapies erronées
qui au bout du compte ne donnent aucune solution. Et
c’est pourquoi, du fait que leur méthode de salut est
fausse, elles cachent en elles leur faiblesse. Comme
des faux docteurs elles introduisent « sournoisement
des doctrines pernicieuses, allant jusqu’à renier le
maître qui les a rachetés …( 2Pierre 2,1 ). Alors
que l’homme ne sera sauvé que s’il rencontre et s’unit
à Jésus Christ, le Seigneur Dieu-Homme. Se couper de
cela c’est renier la présence de Dieu dans le monde.
C’est se couper de la tête du Corps de l’Eglise. C’est
se plonger dans une vision et une intelligence charnelle,
qui se gonflent de chimères. C’est rejeter la tête,
qui est le Christ, de qui le corps tout entier, l’Eglise,
bien unie grâce aux articulations et ligaments, tire
la croissance que Dieu lui donne (Colossiens 2/18,19).
On nous reproche,
à nous les Orthodoxes, de faire partie de ces églises
antiques – comprenez par là incapables de saisir les
choses d’aujourd’hui - en opposition aux églises nouvelles
qui elles ont un message nouveau et adapté à notre monde. Ma réponse sera celle de Saint Jean Chrysostome lorsqu’il
écrit que « ceux qui ne possèdent pas les choses anciennes
ne peuvent pas non plus posséder les nouvelles. Ainsi
aussi la conclusion : les sectes sont pareilles à ces
arbres dont on a coupé les racines et que l’on a plastifié
pour qu’ils donnent l’impression d’être vivants. Pour
cette raison les sectes ne sont pas à même de mener
au véritable salut et à cause de cela elles ne peuvent
pas conduire à l’unique nécessaire qui est la Vie éternelle
ni faire l’expérience de la vraie joie et de la paix
dans l’Esprit Saint.
Celui donc
qui a des oreilles, qu’il entende (Mt 11,15 ) !
+STEPHANOS,
Métropolite de Tallinn et de toute l’Estonie.
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Notes
:
(*) Ce texte a été écrit en se basant essentiellement
sur les études en la matière du Rév.Archim.Augustin
G.Myrou, Docteur en Théologien, que nous remercions
très sincèrement, d’après ses « ANTIHERETIKA » in Revue
Limonarion N° 26,p.3 et 27,p.3, Kozani-Grèce 2006 (
dont nous empruntons une large part ) et sur le livre
du P.Alexandre Schmemann : « O Death, Where is Thy Sting
», dans sa traduction grecque, Ed.Plô, Athènes-Grèce
2006.
(**)
Le Credo nous apprend qu’il y a un seul Dieu en trois
personnes.