EGLISE ORTHODOXE D'ESTONIE

Chapitre

Orthodoxie

 
 
 
 

14 septembre : exaltation de la vénérable et vivifiante Croix du Christ

Les trois croix de 326

Judas indiqua, Hélène inventa(*) et Constantin écrivit : "la raison défaille !”

Dans les années 323-324 ap.J-C., Constantin eut malheureusement recours à une série d’assassinats; les vraies raisons de ces drames étant d’ordre politique ou intimes. Tels furent les meurtres de son beau-frère Licinius, à la vérité l’un des deux étant de trop pour gouverner l’Empire ; puis de son propre fils Crispus et enfin de son épouse Fausta.

Ces nouvelles firent, en Orient comme en Occident, un bruit terrible, amplifié par les hurlements de terreur et de tristesse de sa mère Hélène, laquelle se rendit derechef auprès de lui pour lui clamer toute son horreur.

Qui peut alors imaginer l’affreuse tragédie qui retourna en elle la conscience de l’empereur ? Toujours est-il que Constantin, déchiré intérieurement, hanté par sa crainte d’irriter le « Maître suprême », troublé par tant de contradictions, finit par exprimer son grand remords, préparant du coup pour sa mère cet étonnant destin qui fera d’elle le premier pèlerin illustre de Terre Sainte.

A cette époque en effet la préoccupation de se conformer à la volonté divine était partout présente. Nul doute que, pour Constantin comme pour Hélène, il fallait entreprendre une authentique démarche d’expiation à la mesure des fautes commises car il convenait de rappeler à tous, qu’en dernier ressort, même l’empereur se doit de se remettre « entre les mains de plus puissant que lui ».

Voici donc Hélène à Jérusalem en 326, dans cette Ville sainte où le divin Sauveur fut mis en croix.

La Croix d’abord !

L’Histoire nous rapporte qu’en 312 Constantin, marchant avec des forces inférieures contre son féroce rival Maxence, vit une croix dans le ciel. Avec lui d’autres la virent aussi. La vision lui reparut pendant son sommeil tandis qu’une voix venue d’en haut lui disait : « Par ce signe tu vaincras ! » Aussitôt il fit de la croix son emblème avec les suites que l’on sait.

La Croix, témoin de la présence du Seigneur dans la vie des croyants et de l’Eglise. La Croix, symbole de la victoire finale du Fils de l’Homme - autrement dit de Dieu devenu Homme - et qui apparaîtra dans le ciel ( Mt 24,30 ) quand Il viendra en puissance et en gloire prononcer sur tous le jugement pour l’ éternité.

Mais aussi le lieu du supplice, le Golgotha !

Selon l’usage juif, précisé par le Talmud, « la pierre, le glaive, l’arbre, la corde avec lesquels quelqu’un a été tué, décapité, exécuté, doivent être enterrés ». Il en fut certainement de même des croix qui ont servi au supplice de Jésus et des deux brigands crucifiés avec Lui. Les témoins de sa Passion et de son ensevelissement ainsi que leurs successeurs gardèrent la mémoire du lieu du calvaire et du sépulcre : les pèlerinages furent fréquents dès les premiers temps apostoliques. Le panégyrique de Lucien d’Antioche, martyrisé sous Maximin Daïa, mentionne le Golgotha et la grotte qui servit de tombeau à Jésus. Eusèbe raconte qu’après la destruction de Jérusalem par Titus en 70, les emplacements du Golgotha et du Sépulcre servirent de décharge municipale où s’amoncelèrent des tas d’ordures et de pierres. Hadrien – hasard ou profanation préméditée se demande Daniel-Rops – consacra un temple à Aphrodite sur le rocher de la Croix et érigea une idole de Jupiter sur le Sépulcre …avec peut-être en arrière-plan le dessein d’une récupération religieuse. Toujours est-il que le patriarche des Lieux Saints en avait parlé à plusieurs reprises à Constantin, tout en l’exhortant d’entreprendre les recherches nécessaires pour retrouver la sainte et précieuse relique.

Aussitôt arrivée à Jérusalem, Hélène ordonne de réunir une commission de prêtres et d’archéologues pour déterminer l’endroit précis où l’on piochera ( voir à ce propos les récits de Rufin, Sozomène, Théodoret, Nicéphore Calliste, Grégoire de Tours ).

Mais les fouilles, menées pourtant tambour-battant, ne donnèrent aucun résultat pendant de longs mois, sans compter les inlassables réticences et la désapprobation totale des habitants de la ville … jusqu’au jour où enfin un juif du nom de Judas - celui-là même qui devint par la suite patriarche de Jérusalem et fut martyrisé par Julien l’Apostat – indiqua l’endroit exact.

Sur le lieu présumé se dressent des maisons, des remparts, des temples. On les abat, on déblaie, on creuse. D’autant que les crédits de l’empereur alloués à cet effet sont sans limites. Soudain la bosse du Calvaire et la grotte du Sépulcre apparaissent et…ô miracle, on y découvre trois croix dans un fossé mal comblé.

Mais comment reconnaître celle qui avait porté le Christ ?

Le patriarche Macaire ne cesse d’invoquer Dieu et lorsqu’enfin des guérisons se produisent au contact de l’une d’elles, il n’y a plus aucun doute. Quand à son tour Constantin reçoit la nouvelle, bouleversé il écrit : « … la raison défaille : le divin surpasse l’humain ».

La raison défaille en effet chaque fois que l’on découvre une nouvelle relique et à plus forte raison quand il s’agit des bois sur lesquels a été suspendu le Dieu-Homme.
Tant il est vrai que faire mention de la Croix du Christ c’est déjà nous projeter dans un authentique acte de foi et d’espérance : acte de foi dans le Christ ressuscité qui ressuscite ; acte d’espérance dans la venue du Royaume où pas une parcelle de vraie vie ne sera perdue. Et comment aussi ne pas comprendre qu’en cet instant précis de précieuse découverte, cette croix de bois ne faisait que renvoyer purement et simplement toute l’assistance, abasourdie par le miracle, à la présence même du Christ ?

Hélène, toute à sa joie, se jette spontanément sur la croix pour l’embrasser. Aussitôt le peuple se précipite pour l’imiter. Macaire décide alors de la dresser sur un ambon tandis que la foule entonne le « Kyrie eleison ! Seigneur prends pitié ! »

De cet évènement naquit la fête de l’exaltation de la vénérable et vivifiante Croix. Sa date fut fixée au 14 septembre aussi bien en Occident qu’en Orient un peu après 628, date à laquelle le basileus Héraclius rapporta triomphalement à Jérusalem la précieuse relique après avoir défait les troupes du roi des Perses Chorsoès, qui l’avait emportée avec lui après avoir saccagé la Ville Sainte.

Hélène avait achevé sa mission avec succès. De la Croix elle aurait fait, dit-on, trois parts : une pour Rome, une pour Constantinople et une pour Jérusalem. Et une fois posées les fondations de la basilique de la Résurrection, la vieille impératrice s’en retourna auprès de son fils à Constantinople où elle mourut peu de temps après en 328, achevant ainsi glorieusement sa course terrestre en sa 80e année (**).

La Croix quant à elle restera sur son lieu d’origine jusqu’à la première croisade en 1099. En 1204, la quatrième croisade mit à sac Constantinople. Depuis, les deux fragments de la Croix qui se trouvaient là et à Jérusalem disparurent. D’autres fragments de moindre importance subsistent ici ou là, comme par exemple ceux de l’église de Santa Croce à Rome. Mais encore : assaillie irrésistiblement par les fidèles, la Croix fut à ce point morcelée et dispersée parcelle par parcelle qu’il serait de nos jours bien utopique et prétentieux de vouloir en rajouter d’avantage.

Non sans raison, les chrétiens des premiers siècles avaient été surnommés « les adorateurs de la Croix », non pas certes qu’ils en fissent une idole, mais parce que leur vénération est chargée de tout ce sens sacramentel que porte en elle la Croix en tant que gardienne contre le Malin ; en tant qu’instrument de sanctification par la puissance résurrectionnelle du Christ ; en tant que signe qui fait remonter à l’auteur même de la Rédemption. C’est pourquoi, maintenant que le Christ est ressuscité, la Croix ne peut plus être regardée comme un simple événement du passé pour le ravissement de nos mémoires. Certes, elle advint à un certain moment de l’Histoire mais son rayonnement ne cesse d’être toujours présent dans la Résurrection et donc aussi dans le Christ ressuscité, jusqu’à la fin des siècles. La ferveur d’Hélène ainsi que celle de tous les chrétiens d’où qu’ils soient - depuis cet instant où le patriarche Macaire dressa la Croix jusqu’à aujourd’hui - la multiplication des offices liturgiques en son honneur, la richesse incomparable de l’hymnologie chrétienne en général et byzantine en particulier à son égard témoignent de la façon la plus éclatante qu’Elle est partout et toujours présente dans le culte public de l’Eglise comme dans la dévotion et la vie des croyants (***).

« Oh, le glorieux miracle ! La largeur et la longueur de la Croix sont celles du ciel » (matines du 14 septembre).
« Réjouis-toi, bois de la Croix, bois trois fois heureux et déifié, lumière de ceux qui sont dans les ténèbres ; tu anticipes dans ta splendeur les rayons de la résurrection du Christ, selon les quatre dimensions du monde » (matines du 3e dimanche du Carême).

Réjouis-toi en effet, ô vénérable et vivifiante Croix, Toi par qui passe la voie de notre propre résurrection et de notre réception de l’Esprit Saint.

+STEPHANOS
Métropolite de Tallinn et de toute l’Estonie

Notes :

(*) L’invention ou « découverte » selon l’étymologie latine de la Sainte Croix par l’impératrice Hélène s’inscrit sans aucun doute dans les pages les plus émouvantes de l’histoire du christianisme et reste, de nos jours encore, comme cet événement capital pour la théologie, la spiritualité et la liturgie de l’Eglise d’Orient en général et de l’Eglise Orthodoxe en particulier.

(**) Sainte Hélène naquit aux environs de l’an 247 de notre ère dans une bourgade proche de Nicomédie, ville de Turquie dont le nom actuel est Izmit. Quoique d’origine modeste, elle devint la concubine de Constance Chlore, officier romain de la garnison du Danube, auquel elle donna un fils en 288, le futur empereur Constantin le Grand, né à Naïssus ( de nos jours Nis en Dacie méditerranéenne ). Quelques années plus tard, Constance, élevé par Dioclétien à la dignité de César, se vit contraint de se séparer d’elle pour raison d’Etat. Elle choisit alors de se retirer en Asie où elle mena une vie discrète et effacée. L’ Eglise d’Orient honore sa mémoire en même temps que celle de son fils le 21 mai, leur décernant à tous les deux le titre « d’égaux aux Apôtres ». L’Eglise d’Occident la commémore le 18 août.

(***) Dès les origines du christianisme, on connaît l’importance de la représentation iconographique de l’ancre et de la croix, comme ce fut le cas à Pompéi en 79 et dans les catacombes de Rome dès la fin du 2nd siècle.
La Patrologie grecque pour sa part magnifia la croix avec une abondance et une richesse d’expression incomparable ( Saint Jean Chrysostome, par exemple, nous laisse 14 homélies sur le thème de la croix ).
L’Eglise orthodoxe commémore la Croix tout au long de l’année le mercredi et le vendredi (jours de jeûne) et la vénère tout particulièrement le 14 septembre ( fête de l’exaltation ) et le 3e dimanche du Carême.
Notons encore que les temples chrétiens et les chapelles sont sommés par la croix qui les garde, salue et vénère le signe de la vie, la « porte du Paradis ». Et le chrétien en se signant exprime son émerveillement devant tout ce qui lui ouvre le symbole de la croix et il en est de même quand il trace la croix sur les êtres chers.

Retour au sommaire


 

RESSOURCES
Archives du site
Liens du Web
 
CHAPITRES
Page accueil
Orthodoxie
 
VERSIONS
Estonienne