| Saint 
                        Honorat, fondateur de Lérins et évêque d'Arles L'archipel 
                        de Lérins, au large de Cannes, est formé de deux îles. 
                        La plus grande est l'île de Sainte-Marguerite, celle que 
                        l'on découvre la première à l'horizon. Derrière elle se 
                        cache l'île plus petite de Saint-Honorat. Elle porte le 
                        nom du saint dont nous allons faire connaissance. Incertitudes 
                        sur la vie de saint Honorat C'est 
                        saint Hilaire d'Arles, successeur d'Honorat sur ce siège 
                        épiscopal, qui nous renseigne le mieux sur la vie d'Honorat. 
                        Les autres sources d'information sont peu nombreuses et 
                        très fragmentaires. Les repères chronologiques font défaut. 
                        La seule date qu'il soit possible de fixer, sans certitude 
                        absolue cependant, est celle de sa mort, en janvier 430. 
                        Mais comme on ignore son âge exact au moment de son décès, 
                        il est bien difficile de savoir à quelle date précise 
                        il est né. On suppose qu'Honorat a pu voir le jour vers 
                        370 à Trèves (A l'époque romaine, cette ville de Rhénanie 
                        s'appelait Augusta Trevirorum. Centre des opérations militaires 
                        des Romains sur le Rhin, c'était une des villes les plus 
                        importantes de l'Empire. Elle fut la patrie non seulement 
                        de saint Honorat, mais aussi de saint Ambroise de Milan 
                        et de... Karl Marx ! Saint Athanase y fut envoyé en exil). 
                        Mais peu importe. Car bien plus passionnante et attachante 
                        est la sainteté d'Honorat, si l'on considère la noblesse 
                        de ses origines et les talents qui le destinaient à une 
                        brillante carrière civile.  La 
                        conversion d'Honorat Honorat 
                        appartenait à l'aristocratie gallo-romaine pour qui le 
                        consulat apparaît encore, au cinquième siècle, comme le 
                        plus beau couronnement d'une carrière. Sa famille était 
                        aisée. Elle possédait des domaines dont Honorat hérita 
                        avec son frère à la mort de leur père. Ce dernier était 
                        probablement déjà avancé en âge au moment de la conversion 
                        de son fils. L'enfance d'Honorat fut choyée, sa jeunesse 
                        se passa dans la richesse et le luxe. Il reçut une éducation 
                        classique (sur ce que fut l'éducation classique dans l'Antiquité, 
                        en Grèce et à Rome, il faut lire le beau livre magistral 
                        d'H.I. Marrou. Histoire de l'éducation dans l'Antiquité. 
                        Coll. «Esprit». Ed. du Seuil, 1948). Hilaire parle avec 
                        admiration et vénération des lettres écrites par Honorat. 
                        Il nous dit aussi que, devenu évêque d'Arles, Honorat 
                        prêchait chaque jour avec perspicacité et clarté, surtout 
                        lorsqu'il dissertait sur la divine Trinité. La vocation 
                        religieuse d'Honorat se manifeste très tôt et le désir 
                        du baptême semble lié à l'attirance qu'il éprouve pour 
                        la vie monastique. Et c'est ce renoncement au monde qui 
                        va entraîner l'hostilité de sa famille, en particulier 
                        celle du père qui voyait s'effondrer tous les espoirs 
                        placés en son jeune et brillant fils. Doit-on déduire 
                        de cette attitude que sa famille était païenne ? Cela 
                        n'est pas évident. Car le milieu où grandit Honorat était 
                        sûrement imprégné de christianisme. Sinon, comment son 
                        désir du baptême aurait-il pu se manifester si tôt ? D'après 
                        Hilaire d'Arles, le jeune Honorat n'avait à cette époque 
                        pas plus de douze ans. Son père chercha donc par tous 
                        les moyens à le détourner du baptême et tenta de le distraire 
                        par toutes sortes de divertissements : chasse, jeu de 
                        balle, course, saut, natation ). Mais ce fut en vain : 
                        Honorat tint bon et patienta jusqu'à l'adolescence. Il 
                        entama alors un catéchuménat qui dura trois années. C'est 
                        bien un tout jeune homme qui s'élance alors vers la vie 
                        religieuse. Son frère aîné, Venantius, se convertit à 
                        son tour. Et tous deux se mirent à pratiquer l'ascèse 
                        dans leur patrie, à Trèves. Dans leur demeure, dont ils 
                        ont hérité, et qui avait connu le faste et les brillantes 
                        réceptions, ils accueillaient les voyageurs et offraient 
                        l'hospitalité aux pauvres sur leurs propres terres. Ils 
                        cherchaient en tous points à mettre en pratique les préceptes 
                        de l'Evangile. Et ils y réussirent si bien que leur renommée 
                        se répandit et déborda la ville et la contrée, au point 
                        que, effrayés par leur propre gloire, ils décidèrent de 
                        fuir en vendant tous leurs biens afin d'en distribuer 
                        aux pauvres les bénéfices Le 
                        voyage en Orient Voici 
                        donc nos deux frères escortés par leur ami Caprais, quittant 
                        leur patrie pour échapper avant tout à une renommée encombrante 
                        qu'ils jugent contraire à leur esprit d'humilité. Où songent-ils 
                        aller ? Nul ne le sait. Ils recherchent d'abord l'obscurité 
                        dans un pays étranger. Rien ne nous dit qu'ils aient eu 
                        l'intention de gagner des contrées lointaines comme l'Egypte 
                        ou la Palestine, pépinières du monachisme oriental. Ils 
                        s'embarquent à Marseille pour rejoindre la Grèce. Hélas, 
                        Venantius y meurt. Et Honorat, malade, après ce séjour 
                        malheureux, revient en Occident afin de poursuivre son 
                        ascèse sous des cieux plus cléments. Après un bref séjour 
                        en Italie, où il noue des liens d'amitié avec les communautés 
                        chrétiennes du pays, il rentre en Gaule du sud pour s'installer 
                        à Lérins. L'installation 
                        à Lérins C'est 
                        par la route et à pied que Caprais et Honorat, cheminant 
                        sur la voie Aurélienne (la via Aurelia longeait la côte 
                        de Toscane et menait en Gaule), empruntent le vallon de 
                        Laghet, se désaltérant peut-être à la source au pied de 
                        laquelle s'élèvera au XVIIème siècle le sanctuaire marial 
                        de N.-D. de Laghet. Ils passent la nuit à Cimiez, alors 
                        grande cité romaine. Puis, reprenant la belle route tracée 
                        sous les oliviers, les pins et les chênes-lièges, ils 
                        franchissent le Var au gué de Saint-Christophe, et continuent 
                        vers Saint-Jeannet et Vence. Délaissant Antibes, grand 
                        port romain à l'époque, ils cheminent le long de la mer, 
                        puis remontent jusqu'à Vallauris, pour atteindre enfin 
                        le castrum qui, de la colline du Pézou, domine l'actuelle 
                        rade de Cannes. Honorat et Caprais sont saisis par l'admirable 
                        paysage. Baignant dans les eaux bleues de la Méditerranée, 
                        deux îles s'étendent à quelques brasses du rivage : Léro 
                        et Lérina. Suivant sans peine la voie Aurélienne, ils 
                        s'enfoncent dans les massifs boisés de l'Estérel, puis 
                        empruntant une voie étroite qui s'élève vers un col, entre 
                        le pic d'Aurelle et le pic du Cap-Roux, ils s'y arrêtent 
                        pour y passer la nuit. Ils aperçoivent des châtaigniers 
                        sous l'ombre fraîche desquels coule une source limpide. 
                        On peut aisément imaginer qu'ils trempèrent dans l'eau 
                        vive leurs mains et leur visage brûlé par le soleil, et 
                        qu'ensuite ils mangèrent des châtaignes et les fruits 
                        rouges des arbousiers selon la saison durant laquelle 
                        eut lieu leur voyage. Caprais connaissait sans doute les 
                        lieux. Cherchant un refuge pour la nuit, les deux pèlerins 
                        escaladèrent le pic du Cap-Roux. Presqu'au sommet, une 
                        excavation du rocher forme une grotte profonde où ils 
                        s'installèrent. Ils se mirent à prier. Lorsqu'ils achevèrent 
                        leur prière, la nuit était tombée, vivante de milliers 
                        d'astres. Elle leur faisait penser au désert. Ils s'endormirent 
                        dans la paix. Le lendemain, ils reprirent leur route, 
                        abandonnant avec regret ce lieu privilégié de parfaite 
                        solitude. Après une étape à Agay, ils atteignirent Fréjus, 
                        grande cité romaine militaire où ils s'arrêtèrent. Ils 
                        avaient une lettre de recommandation pour Léonce, le nouvel 
                        évêque qui dirigeait la petite communauté chrétienne. 
                        Hilaire d'Arles ne nous dit pas combien de temps Honorat 
                        et Caprais demeurèrent à Fréjus. Peut-être fût-ce plusieurs 
                        années, car Léonce avait besoin de missionnaires pour 
                        évangéliser la région. Par contre, nous savons qu'Honorat 
                        devint célèbre et que les foules accouraient de loin pour 
                        entendre sa parole. Mais cette célébrité lui devint pesante 
                        et pour finir intolérable. L'appel de la solitude retentissait 
                        en lui de façon de plus en plus impérieuse. Il fallut 
                        donc partir. La grotte du Cap-Roux, perdue dans le désert 
                        odorant du massif de l'Estérel, avec sa source au pied 
                        de la montagne, l'appelait. C'est là qu'avec Caprais il 
                        tentera de mettre en pratique les enseignements des Pères 
                        du désert. Honorat descendait parfois de la montagne pour 
                        exercer son apostolat auprès des pêcheurs du petit port 
                        d'Agay. Mais bientôt la grotte reçut la visite des quémandeurs. 
                        Il fallut donc partir à nouveau ! Mais où ? A Lérins, 
                        bien sûr, sur la petite île qui ressemblait à un désert. 
                        Honorat demanda à un pêcheur d'Agay de les conduire sur 
                        l'île. Ce fut la stupeur et un concert de lamentations 
                        : l'île était petite, inhabitable, sans eau, remplie de 
                        serpents. Mais rien de tout cela ne fit peur à Honorat 
                        ni à Caprais. Finalement, il se trouva un pêcheur assez 
                        courageux, -- ou assez inconscient ! -- pour accepter 
                        de les conduire à Lérina. Personne ne croyait qu'ils y 
                        resteraient plus d'une journée. La légende raconte que, 
                        lorsque Honorat posa le pied sur Lérina, celle-ci trembla 
                        ! Les serpents grouillaient partout. Honorat étendit les 
                        mains et invoqua le Christ. Aussitôt tous les serpents 
                        expirèrent en provoquant une odeur pestilentielle. Honorat 
                        se remit alors à prier. Le vent se leva et un raz de marée 
                        balaya l'île. Honorat et Caprais s'étaient réfugiés en 
                        haut d'un palmier. Quand la mer se retira, l'île était 
                        purifiée, le soleil brillait et dans les buissons chantaient 
                        les premiers oiseaux venus du continent. Mais passons 
                        de la légende à la réalité. Honorat et Caprais arrachèrent 
                        petit à petit les ronces, les salsepareilles, et bientôt 
                        abondèrent lentisques, cistes, genévriers et genêts. Honorat 
                        et Caprais bâtirent deux abris sommaires avec des pierres 
                        plates et des branchages, et ils reprirent la vie érémitique 
                        commencée au pic du Cap-Roux. Ainsi, peu à peu, dans l'absolue 
                        solitude de Lérins à peine troublée par le passage, de 
                        temps en temps, d'un pécheur qui apportait l'eau et quelques 
                        galettes de pain, offrande du petit peuple fidèle d'Agay, 
                        Honorat se préparait à la plus haute perfection, en compagnie 
                        de Caprais. Mais, comme il fallait s'y attendre, l'installation 
                        d'Honorat et de Caprais à Lérins provoqua un grand mouvement 
                        de curiosité sur tout le littoral. Et au grand désappointement 
                        des deux solitaires, se produisit le contraire de ce qu'ils 
                        avaient espéré : de plus en plus nombreuse la foule réapparut 
                        devant leur ermitage. Certains, parmi cette foule, touchés 
                        par l'exemple des deux moines, se construisaient un abri 
                        sur le rocher, quémandant humblement chaque jour un conseil 
                        pour se livrer à leur tour aux mortifications corporelles 
                        et à la purification de l'esprit, prélude au grand voyage 
                        vers les immensités intérieures où les happait l'irrésistible 
                        appel de Dieu. Peu à peu se constituait sur l'île, contre 
                        le désir des deux moines, ce type intermédiaire entre 
                        l'érémitisme et le monastère organisé : la laure, où chacun 
                        vivait seul dans son abri pour se retrouver le dimanche 
                        à la célébration de la synaxe eucharistique. L'évêque 
                        Léonce avait ordonné prêtre Honorat qui s'en était défendu 
                        en vain. Après avoir longuement prié, Honorat demanda 
                        conseil à l'évêque Léonce, et il se décida, à l'heure 
                        même où Cassien songeait à fonder à Marseille le grand 
                        monastère de Saint-Victor, à faire à son tour acte solennel 
                        de cénobitisme. Il grouperait autour d'une règle monastique 
                        commune inspirée des Pères, les hommes épris de Dieu et 
                        prêts à tout quitter pour son seul amour. Peu d'éléments 
                        permettent de fixer la date de la fondation du monastère 
                        de Lérins. La première mention remonte à Paulin de Nole, 
                        dans une lettre adressée à Eucher de Lyon entre 412 et 
                        420. Aux environs de 427, Cassien parle à propos de Lérins 
                        d'une immense communauté de frères, ce qui laisse entendre 
                        que le monastère existait depuis plusieurs années. On 
                        situe généralement dans la deuxième décennie du Vème siècle 
                        l'installation d'Honorat sur l'île, donc vers 410. Les 
                        débuts de la vie monastique à Lérins. Pour désigner l'île 
                        d'Honorat, Hilaire d'Arles utilise à plusieurs reprises 
                        le mot désert selon une tradition qui remonte aux premiers 
                        moines d'Orient qui, dès le troisième siècle avaient choisi 
                        de vivre en solitaires dans les déserts égyptiens notamment. 
                        Ce mode d'existence fut révélé à l'Occident grâce à la 
                        Vie de saint Antoine composée par saint Athanase vers 
                        357 et traduite du grec en latin vers 370-374 par Evagre 
                        d'Antioche. Mais si les déserts se peuplent de moines, 
                        vivant chacun dans sa cellule et se regroupant de temps 
                        à autre auprès d'un père spirituel, on sait qu'il existe 
                        aussi, dans tout l'Orient chrétien antique - Egypte, Syrie, 
                        Asie Mineure -- un autre type d'organisation monastique 
                        qui privilégie la vie en communauté et dont saint Pacôme 
                        fut le fondateur. De 358 à 379, Basile de Césarée, par 
                        exemple, fonde et gouverne des monastères auxquels il 
                        donne des Règles monastiques. Or, depuis 397, circule 
                        une traduction en latin de la rédaction primitive de l'oeuvre 
                        de saint Basile, le Petit Asceticon. Il est possible qu'Honorat 
                        ait connu cette version lors de son passage en Italie. 
                        Au moment où Honorat décida de s'installer dans l'île 
                        de Lérins, le mouvement monastique a atteint l'Occident. 
                        Saint Athanase exilé à Trèves en 336, puis à Rome en 341 
                        l'a certainement fait connaître. Vers 360, saint Martin 
                        s'établit dans la solitude à Ligugé, près de Poitiers. 
                        Devenu évêque de Tours, il fonda un monastère à Marmoutier. 
                        En 382, Jérôme venu vivre à Rome auprès du pape Damase 
                        avait propagé l'idéal ascétique. En 386, un monastère 
                        naît à Milan. Enfin, Augustin lui-même, évêque d'Hippone, 
                        établit un monastère épiscopal où il vivait en communauté 
                        avec tout son clergé sous une règle stricte : ascèse faite 
                        d'obéissance, de continence, de pauvreté, d'humilité. 
                        Parmi tous les modèles de vie monastique il n'est pas 
                        facile de dire quel est celui que choisit Honorat. Au 
                        départ, c'est vers une forme de vie cénobitique que tous 
                        les indices nous orientent. Et nous avons vu qu'en 427 
                        Cassien parle d'une immense communauté de frères. Le mot 
                        utilisé par Cassien est coenobium, qui désigne précisément 
                        un monastère où l'on vit en communauté, selon une règle. 
                        Honorat n'a jamais eu comme saint Antoine le désir de 
                        vivre dans un isolement complet. Il brûle, c'est vrai, 
                        d'être retranché du monde. Mais dès lors que d'autres 
                        hommes éprouvent ce même besoin, il ne les rejette pas. 
                        Et ce nombre devint suffisamment important pour justifier 
                        la construction d'une église et de bâtiments adaptés à 
                        l'habitat des moines. Le récit de saint Hilaire d'Arles, 
                        qui suit l'ordre chronologique, permet de penser que ces 
                        installations ont été réalisées très tôt. S'il y a eu 
                        une expérience de la vie érémitique pour Honorat, celle-ci 
                        n'a pas duré longtemps. Car le témoignage d'Hilaire montre 
                        bien qu'Honorat est toujours resté en contact avec les 
                        communautés chrétiennes auprès desquelles il s'était installé. 
                        Les liens noués en Italie avec le clergé, l'affection 
                        qui l'attache à l'évêque de Fréjus, sont autant de preuves 
                        de l'importance que Honorat a toujours accordée aux relations 
                        humaines. Et l'évêque Fauste de Riez, dans un passage 
                        de son sermon dédié à Honorat, nous dit : En vérité, ils 
                        ont été comblés de joie ceux qui ont eu le bonheur de 
                        vivre aux côtés d'Honorat, de manger avec lui et d'être 
                        soldats de Dieu sous sa discipline Une 
                        structure verticale et hiérarchisée Le 
                        renom du fondateur de Lérins a dépassé très vite les limites 
                        de la Provence et du sud de la Gaule. Le retentissement 
                        de Lérins, son rayonnement da pas tardé à susciter des 
                        vocations illustres : Hilaire d'Arles, Loup de Troyes, 
                        Hucher de Lyon, Vincent de Lérins, Fauste de Riez, Salvien 
                        de Marseille. Tous ont vécu dans l'île avant l'an 430 
                        et parmi ces hommes qui venaient rejoindre Honorat, beaucoup 
                        étaient originaires du nord de la Gaule. Les textes d'Hilaire 
                        d'Arles et de Fauste de Riez parlent de la vie harmonieuse 
                        des membres du monastère regroupés autour de son fondateur. 
                        Les deux auteurs insistent sur le rôle essentiel que joue 
                        Honorat à la tête de sa communauté. Fauste de Riez insiste 
                        tout particulièrement sur sa fonction de pasteur attentif 
                        qui veille, en gardien vigilant de son troupeau, et qui 
                        lui montre le chemin de la vie éternelle. Chef spirituel, 
                        guide infatigable, tel Moïse il ouvre le chemin du désert 
                        et délivre ses frères de la servitude. Avec Caprais qui 
                        n'a jamais quitté Honorat, ils étaient comme les deux 
                        colonnes qui précédaient les fils d'Israël pour leur montrer 
                        la route. Mais Honorat, pasteur qui guide et protège son 
                        troupeau, évoque aussi le Christ lui-même : Je suis le 
                        bon pasteur, dit Jésus, je connais mes brebis et mes brebis 
                        me connaissent (Jean 10, 14). Par la perfection de ses 
                        vertus, Honorat est l'image même du Christ. Ce rapprochement 
                        suggéré par Fauste de Riez est manifeste dans le sermon 
                        d'Hilaire d'Arles : Il a cherché à rejoindre Honorat celui 
                        qui a désiré le Christ, et vraiment c'est le Christ qu'il 
                        a trouvé, celui qui a cherché à rejoindre Honorat. Par 
                        sa douceur, c'est à l'amour du Christ qu'il invite tous 
                        ses frères. En aimant ses frères, il fait naître l'amour 
                        du Christ dans leurs cœurs. Inversement, ces hommes partagent 
                        un même amour pour Honorat. Il est le médiateur qui leur 
                        permet d'accéder à l'amour de Dieu. Ainsi Honorat, aimé 
                        de tous, n'occupe pas seulement une place centrale au 
                        milieu de ses frères. L'amour qui l'unit à chaque membre 
                        de la communauté s'exerce aussi selon une ligne verticale 
                        à l'intérieur d'une structure hiérarchique dans laquelle 
                        il occupe une place intermédiaire entre Dieu et les frères 
                        de la communauté monastique. Et cette structure se retrouve 
                        dans l'organisation de toute la vie communautaire. Honorat 
                        est appelé maître et père par les frères qui lui doivent 
                        obéissance. Cependant, Honorat dirige son monastère avec 
                        une autorité bienveillante. Pour changer ce qui avait 
                        besoin d'être corrigé, le plus souvent il changeait sa 
                        façon même de corriger, si bien qu'il suscitait autant 
                        d'amour que de crainte. Et les frères qui l'aimaient tant 
                        essayaient de ne point commettre de fautes. Et la crainte 
                        qu'il provoquait faisait naître l'amour de la discipline. Discipline 
                        et Règle Les 
                        moines étaient donc soumis à une discipline qu'Honorat 
                        se réservait le droit d'adapter à chacun. La première 
                        des exigences était l'obéissance, première vertu du vrai 
                        moine. L'autorité d'Honorat s'exerçait dans tous les domaines 
                        de la vie quotidienne : travail, sommeil, nourriture étaient 
                        selon Hilaire d'Arles, adaptés à la constitution physique 
                        de chacun. Honorat avait le souci d'apaiser les querelles 
                        qui pouvaient naître entre les frères, et de maintenir 
                        la cohésion de sa communauté. La soumission des moines 
                        à ses exhortations s'accompagnait en retour d'une sollicitude 
                        constante à l'égard de chacun. Honorat s'efforçait ainsi 
                        de rendre plus léger le joug du Christ, et de faire naître 
                        la joie dans le cœur des frères. Cette joie de vivre sous 
                        la discipline d'Honorat est mentionnée par Fauste de Riez 
                        dans un passage où il évoque la sainte Règle qui permet 
                        au monastère d'assurer sa solidité. L'emploi du mot règle 
                        ne suffit pas à attester l'existence, à Lérins, d'une 
                        règle monastique rigoureusement définie. Il peut s'agir 
                        simplement d'un ensemble de préceptes qu'Honorat a appliqués 
                        à Lérins. Cette règle ou ces préceptes tirés de l'enseignement 
                        des moines d'Egypte, semblent n'avoir jamais été formulés 
                        par écrit. Ce qui ne signifie pas que la Règle n'ait jamais 
                        existé. De toute manière, nous savons par Hilaire d'Arles 
                        et par Fauste de Riez, les principaux témoins de saint 
                        Honorat, que l'obéissance, l'humilité, l'égalité d'humeur, 
                        l'amour fraternel, le silence, les jeûnes et les mortifications, 
                        la célébration liturgique et la prière personnelle, la 
                        méditation et le travail manuel étaient de rigueur à Lérins, 
                        et que tout cela faisait office de Règle. Honorat fuyait 
                        la renommée, mais plus il la fuyait plus elle s'attachait 
                        à lui, et qu'il le voulût ou non, partout où il allait, 
                        la renommée l'accompagnait. Car, par l'exemple de ses 
                        vertus il régénérait tous les lieux où il séjournait. 
                        Partout, nous dit Hilaire d'Arles, il répand la manne 
                        et exhale le doux parfum du Christ. Son monastère était 
                        un phare, dont la réputation s'étendra très tôt à toute 
                        la Gaule. Il attirait une multitude de visiteurs, de pèlerins, 
                        et surtout des pauvres venus des régions les plus diverses. 
                        Honorat distribuait sans compter et parfois son trésor 
                        se trouva épuisé. Sa foi ne le fut jamais. Et Hilaire 
                        nous raconte qu'un jour le coffre ne contenait plus qu'une 
                        seule pièce d'or. Un pauvre se présenta, Honorat la lui 
                        donna et à Hilaire inquiet il dit : Puisque nous n'avons 
                        plus rien à donner, il est bien certain que quelqu'un 
                        est en route pour nous apporter de quoi pouvoir le faire 
                        encore. Effectivement, à la tombée du jour, un donateur 
                        se présenta. Avec la charité, le secret de la réussite 
                        d'Honorat était la joie. Tel fut Honorat, fondateur de 
                        l'abbaye de Lérins en Provence. Mais sa réputation allait 
                        lui jouer, une fois encore, un drôle de tour. A la mort 
                        de l'évêque d'Arles, il allait devoir quitter son île 
                        bienheureuse pour être, contre son gré, placé sur le siège 
                        épiscopal d'Arles. Saint 
                        Honorat, évêque d'Arles Honorat 
                        avait été ordonné prêtre malgré lui par l'évêque Léonce 
                        de Fréjus. Et lui qui avait toujours fait preuve d'une 
                        humilité exemplaire et souhaitait finir sa vie dans la 
                        solitude, la paix et même l'oubli, devait donc recevoir 
                        la consécration épiscopale pour siéger à la tête de l'une 
                        des plus importantes métropoles chrétiennes. Car, après 
                        qu'ils furent chassés de Trèves - ville natale de notre 
                        saint -, les empereurs constantiniens s'étaient installés 
                        en Arles, devenue, en 395, capitale des Gaules et de l'Empire. 
                        De ce fait, l'évêque d'Arles était le primat des Gaules. 
                        Plus tard cette fonction sera transférée à Lyon (encore 
                        aujourd'hui l'archevêque catholique de Lyon a le titre 
                        de primat des Gaules). Ce siège épiscopal était donc très 
                        important. C'est ce qui explique les luttes partisanes 
                        socio-politico-religieuses qui, hélas, entourèrent souvent 
                        l'élection de l'évêque métropolitain d'Arles. L'élection 
                        d'Honorat eut lieu par surprise et derrière son dos. Il 
                        n'avait même pas été consulté ! Aussi ne voulut-il pas 
                        de ce siège épiscopal. De plus, l'abbaye de Lérins n'était 
                        pas du tout décidée à laisser partir son Abbé. Hilaire 
                        déclara aux Arlésiens, sans y mettre de formes «Qui vous 
                        a donné le désir de posséder pour vous cet homme, au détriment 
                        de ceux à qui Dieu l'avait accordé en son désert» ? Bien 
                        entendu, ce désir provenait de la haute réputation d'Honorat, 
                        déjà considéré comme un saint et comme un organisateur 
                        de premier ordre. On savait aussi que c'était un homme 
                        de paix. Il ne réunit pourtant pas sur son nom l'unanimité 
                        des suffrages. Mais l'affaire fit grand bruit. Alerté, 
                        le pape, Célestin ler, qui n'avait aucun grief contre 
                        Honorat, écrivit en 428 à tous les évêques du sud-est 
                        de la Gaule pour leur demander qu'à l'avenir «un prêtre 
                        ne soit élu, venant d'une autre Eglise, que dans le cas 
                        où aucun clerc de l'Eglise à pourvoir ne serait jugé digne, 
                        ce que nous croyons, ne pouvoir se produire. Il faut réprouver 
                        le fait de préférer ceux des Eglises étrangères, ne pas 
                        faire appel à des étrangers de peur que l'on ne paraisse 
                        avoir établi une sorte de nouveau collège d'où seraient 
                        tirés les évêques». Or, c'est exactement ce qui allait 
                        se produire avec l'abbaye de Lérins, qui deviendra, aux 
                        Vème et Vlème siècles, la pépinière des évêques du sud 
                        de la Gaule. Honorat ne se rendit pas immédiatement aux 
                        Arlésiens. Il lui fallait réfléchir et prier. Et ce n'est 
                        qu'après de longs mois de tractations et de supplications 
                        qu'il accepta. Il savait que son œuvre de Lérins était 
                        solide. Mais il se savait aussi malade et en sursis. Il 
                        renonça à finir sa vie dans la paix de son île, et se 
                        jeta dans ce guêpier politico-socio-religieux de la métropole 
                        d'Arles, car il y aperçut finalement la volonté de Dieu 
                        de l'y voir rétablir la concorde et l'amour fraternel. 
                        Après avoir dit un adieu, (qu'il savait n'être pas un 
                        au revoir) à ses moines, il prit la route d'Arles. Mais 
                        Arles lui paraissait tellement redoutable qu'il emmena 
                        avec lui deux moines, Jacques d'Assyrie et Hilaire qui, 
                        lui, ne supporta pas la ville et s'en retourna promptement 
                        à Lérins. Quand Honorat s'assit sur le siège épiscopal 
                        d'Arles, il trouva les caisses du trésor pleines de richesses 
                        amassées par ses prédécesseurs. Le dernier, Helladius, 
                        était pourtant un moine. Honorat n'hésita pas et, nous 
                        dit Hilaire, «il exclut tout amas d'injustes richesses, 
                        et tout ce qui avait été accumulé sans but fut enfin affecté 
                        à des usages légitimes. Ceux qui étaient morts commencèrent 
                        à bénéficier de leurs trésors et les donateurs purent 
                        enfin éprouver les soulagements qu'ils avaient voulus 
                        en faisant leurs offrandes. Il ne réserva, pour l'évêché, 
                        que ce qui devait suffire aux nécessités du ministère». 
                        Alors la ville commença à respirer, et la concorde revint 
                        dans les cœurs. Honorat fit rapidement l'unanimité dans 
                        son diocèse. Mais l'effort fut énorme. Le 6 janvier 430, 
                        bien que faible, il voulut prêcher dans sa cathédrale. 
                        A son retour, il dut s'aliter. La 
                        mort d'Honorat  
                        A cette nouvelle, ses amis du diocèse d'Arles et de l'île 
                        de Lérins accoururent à son chevet, Hilaire en tête, qui 
                        nous dit «Leur douleur lui était plus pénible que la sienne 
                        propre». Et s'adressant à Hilaire lui-même il demanda 
                        «Pourquoi pleures-tu ? Est-ce pour cette loi commune à 
                        l'espèce humaine Faut-il que mon départ te trouve mal 
                        préparé, alors qu'il n'a pas pu me surprendre ?» Lorsqu'il 
                        entra en agonie, les corps constitués affluèrent, ainsi 
                        que le préfet en exercice et les anciens préfets, selon 
                        l'usage de l'époque. Le Saint ne manqua pas une si belle 
                        occasion de les chapitrer. Et, toujours grâce à Hilaire, 
                        nous possédons l'unique sermon qui ait été conservé d'Honorat 
                        : «voyez quelle fragile demeure nous habitons ! Si haut 
                        que nous montions, la mort nous en fera descendre. Vivez 
                        donc votre vie de telle façon que vous ne redoutiez pas 
                        le terme, et ce que nous appelons la mort, attendez-le 
                        comme un simple passage». Puis, après les avoir menacés 
                        de l'enfer, il rappela ce que fut sa règle monastique. 
                        «Il faut que l'esprit reconnaisse sa nature supérieure 
                        et livre combat aux vices charnels. Ce n'est qu'à ce prix 
                        qu'il conservera l'une et l'autre substance sans tache 
                        pour la paix éternelle». Enfin, il lança un suprême avertissement 
                        concernant tous les moines de l'avenir : «Que nul parmi 
                        vous ne soit prisonnier de l'amour excessif dit monde. 
                        Que personne ne s'abandonne aux richesses». Et il répétera 
                        avant de s'endormir dans la paix de la mort : «Que nul 
                        ne soit l'esclave de l'argent, que nul ne se laisse corrompre 
                        par la vaine apparence des biens terrestres. C'est un 
                        crime de faire un instrument de perdition de ce qui pourrait 
                        vous servir à acheter le salut, et de rendre esclave au 
                        moyen de ce qui pourrait vous reconquérir la liberté». 
                        Il se mit alors à parler de tous ceux qu'il avait aimés 
                        et chargea ses amis de leur faire parvenir un dernier 
                        message. Et à la demande du clergé, il désigna son successeur 
                        : Hilaire. Mais le moine ne rêvait que de retourner à 
                        Lérins, ne souhaitant rien moins que cette charge épiscopale. 
                        Honorat reposait maintenant, calme et détendu. Il se laissa 
                        envahir par une sorte de sommeil. Croyant qu'il allait 
                        mourir, ses amis le secouèrent. Il ouvrit un œil et leur 
                        dit malicieusement : «Je m'étonne que, me voyant si bas 
                        et sachant combien j'ai été longtemps privé de sommeil, 
                        vous ne puissiez seulement me laisser dormir !». Il se 
                        moqua d'eux avec tendresse, puis il se tut et entra dans 
                        le sommeil de la mort. Hilaire a ce mot étonnant : Alors 
                        sa vie s'éteignit presqu'avant sa bonté. La mort d'Honorat, 
                        très douce, sans combat, fut accompagnée de phénomènes 
                        étranges. A l'instant même où son esprit quittait son 
                        corps, au milieu de la nuit, de nombreux arlésiens réveillés 
                        furent frappés, par la vision du Saint que recevait une 
                        cohorte céleste. Tous se levèrent puis coururent jusqu'à 
                        l'évêché. «On aurait dit, note Hilaire, que tout le monde 
                        avait été réveillé par un avertissement des anges». Les 
                        obsèques d'Honorat Accompagné 
                        du peuple, le corps fut conduit à la cathédrale. Honorat 
                        était revêtu de ses riches habits épiscopaux qu'il n'avait 
                        jamais portés de son vivant ! En effet, épris de simplicité 
                        et d'humilité, il avait toujours préféré la bure du moine. 
                        Après la célébration dans la cathédrale, le corps fut 
                        transporté solennellement jusqu'au cimetière extérieur 
                        des Alyscamps. Alors une dispute éclata entre les prêtres 
                        de Saint-Etienne ( c'est-à-dire la cathédrale ) et les 
                        moines de Lérins, chacun revendiquant âprement l'honneur 
                        de porter le corps. Avant que ce dernier ne disparaisse 
                        dans le sarcophage de pierre taillée, la foule se précipita 
                        et lui arracha ses vêtements pour en faire des reliques. 
                        Quant aux reliques proprement dites, les ossements, elles 
                        eurent une longue histoire. Les moines de Lérins ne reçurent 
                        qu'un os. Plus tard, le corps du Saint fut déposé dans 
                        la chapelle de Saint-Genès des Alyscamps, puis dans l'église 
                        Saint-Honorat dès qu'elle fut construite. Il y demeura 
                        presque un millénaire. En 1390, des pillages firent craindre 
                        pour les biens d'Arles. L'Abbé de Ganagobie, dans le département 
                        actuel des Alpes de Haute Provence, qui en avait la garde, 
                        transporta les reliques du Saint chez lui. Mais, à cette 
                        époque médiévale, les reliques représentaient un tel trésor 
                        qu'il offrit à l'abbaye de Lérins de les récupérer, pensant 
                        qu'elles y seraient mieux en sécurité qu'à Ganagobie. 
                        Il ne posa qu'une condition, aussitôt acceptée, d'être 
                        admis comme moine à Lérins. Lorsque le 20 janvier 1391, 
                        les reliques arrivèrent à Lérins, l'abbé, Jean de Tournefort 
                        fit ouvrir le reliquaire. Au milieu des ossements un certificat 
                        en attestait l'authenticité. L'Abbé fit apporter l'os 
                        que possédait son abbaye, lequel, remis à sa place, s'adapta 
                        parfaitement. En 1788, les reliques furent distribuées 
                        au diocèse de Grasse. Comme on vient de le voir, le corps 
                        de St Honorat demeura longtemps en Arles, ce qui contristait 
                        beaucoup les moines de Lérins. Mais Fauste de Riez, un 
                        autre témoin de la vie d'Honorat, les en consola : «Ne 
                        croyons pas avoir quelque chose de moins du fait que la 
                        cité d'Arles revendique comme sa propriété les restes 
                        de ce corps. Qu'ils détiennent le réceptacle de l'esprit, 
                        le Corps, nous, nous conservons l'âme elle-même, en ses 
                        effets merveilleux. Qu'ils détiennent les os, nous les 
                        mérites. Honorat se souviendra de l'un et de l'autre lieu, 
                        mais il se doit à Lérins à un titre spécial. Car, s'il 
                        cultiva avec soin Arles, cette vigne du Seigneur, il a 
                        cependant planté le premier cette vigne, Lérins». Les 
                        miracles de saint Honorat Ecoutons 
                        le sermon d'Hilaire devenu évêque d'Arles, pour l'anniversaire 
                        de la mort de saint Honorat : «Que ta gloire est grande 
                        et illustre, Honorat ! Tes mérites n'ont pas eu besoin 
                        d'être illustrés par des miracles. Ta vie elle-même pleine 
                        de vertus, et exaltée par une admiration renouvelée, a 
                        servi en quelque sorte de miracle perpétuel. Nous savons 
                        tous, nous qui vivions auprès de toi, que les dons nombreux 
                        que Dieu t'a accordés ont tenu lieu de miracles. Mais, 
                        pour ta part, tu en faisais bien peu de cas, et tu te 
                        réjouissais bien plus de savoir tes mérites et tes vertus 
                        consignés par Dieu que de voir les hommes relever tes 
                        miracles. Et pourtant, quel plus grand miracle de la vertu 
                        peut-il exister que de fuir les miracles et de cacher 
                        ses vertus ? Et en vérité, ta prière était, pour ainsi 
                        dire, si familière aux oreilles du Christ, que tu as obtenu, 
                        je crois, par les supplications si ferventes, de ne pas 
                        voir des miracles proclamer ta vertu. La paix a aussi 
                        ses martyrs ; car aussi longtemps que tu as habité ton 
                        corps, tu as toujours été le témoin (rappelons que martyr 
                        vient d'un mot grec signifiant témoin) du Christ... Il 
                        n'y eut jamais sur tes lèvres que la paix, la chasteté, 
                        la piété, la charité. Il n'y eut jamais dans ton cœur 
                        que le Christ.. Ceux qui désiraient Dieu ont trouvé en 
                        toi un secours commun à tous». St Honorat avait l'habitude 
                        de rapporter à ses moines ses songes. Hilaire écrit à 
                        ce propos : «ils n'étaient pas prophétiques, ils n'étaient 
                        pas provoqués par quelque inquiétude pour l'avenir, mais 
                        ils étaient suscités par les aspirations d'une âme qui 
                        ne connaît pas le repos. C'est le martyre, sur lequel 
                        portait sans cesse ta méditation, que tu subissais, tandis 
                        que le Seigneur prenait plaisir, je crois, à faire naître 
                        en toi le désir, et c'était comme une persécution menée 
                        contre ta foi. En vérité, personne, je pense, ne peut 
                        nier que, pour subir le martyre, c'est l'occasion et non 
                        pas le courage qui t'a manqué». St Hilaire attribue sa 
                        conversion à St Honorat. Il n'en parle pas comme d'un 
                        miracle, et pourtant, nous pourrions y voir un miracle. 
                        Honorat, en effet, avait été averti par des amis venant 
                        de Trèves et de passage dans son monastère, qu'Hilaire 
                        et d'autres jeunes gens vivant encore à Trèves, menaient 
                        une vie de débauche. Hilaire était apparenté à Honorat. 
                        Dès qu'il entend cela, il ne rejette pas, malgré ses ennuis 
                        de santé, la perspective d'un long voyage. Il revient 
                        dans sa patrie, afin de sauver Hilaire. Mais, en ces années-là, 
                        Hilaire était attaché au monde et rebelle à Dieu. Honorat 
                        l'exhorte avec tout son talent à ouvrir son cœur à Dieu. 
                        Mais, nous dit Hilaire lui-même, «ses paroles pleines 
                        de piété ne pénétraient pas dans mes oreilles ... je résistais.. 
                        et faisais le serment de ne pas céder». Et cependant, 
                        par une vision presque prophétique Honorat lui prédit 
                        : «Ce que tu me refuse Dieu me l'accorde». Et Hilaire 
                        conclut : «C'est ainsi, oui, c'est ainsi que la prière 
                        d'un saint ramène les fugitifs, c'est ainsi qu'elle dompte 
                        les obstinés, c'est ainsi qu'elle soumet les rebelles». 
                        Fauste de Riez, lui aussi, a bien connu Honorat, en tant 
                        que moine à Lérins. Il en fait aussi l'éloge, non point 
                        en Arles, mais à Lérins. «En vérité, mes frères très chers, 
                        dit-il aux moines de cette abbaye, ils ont été comblés 
                        de joie ceux qui ont eu le bonheur de se trouver face 
                        à face avec cet homme angélique... Et celui qui se sera 
                        efforcé d'être l'héritier de ses mérites ici-bas, aura 
                        le bonheur d'être aussi un jour le cohéritier des faveurs 
                        qu'il a reçues... Or, alors qu'il s'était élevé au faîte 
                        de ses vertus, il n'a jamais pensé qu'il fallait mettre 
                        sa confiance en lui seul. Mais il avait pris comme assistant 
                        et collègue le bienheureux Caprais, et il s'en remit, 
                        pour tout ce quel avait à régler ou à exécuter, à l'examen 
                        et à la décision de celui-ci, comme à la plus juste balance 
                        du jugement. En sa compagnie, il a introduit dans ce désert 
                        la gloire du Christ et, tel Moïse en compagnie d'Aaron, 
                        il a établi un camp pour tous ceux qui sont destinés à 
                        marcher vers la terre promise... En effet, aussi longtemps 
                        que celui-ci, tel Moïse, a élevé ses mains saintes, ici, 
                        il a toujours sauvegardé l'invincibilité de son peuple 
                        contre Amaleq, c'est-à-dire contre le diable. Aussi, mes 
                        très chers frères ... gardons surtout l'orthodoxie de 
                        la foi ; croyons que le Père et le Fils et le saint Esprit 
                        sont un seul Dieu... Gardons l'esprit d'obéissance qu'il 
                        conseillait toujours plus particulièrement et avec plus 
                        d'empressement, car si un moine ne le possède pas, il 
                        est vraiment pauvre et nu. En effet, quand le premier 
                        homme eut manqué au devoir d'obéissance, il sut qu'il 
                        était nu... Gardons aussi l'humilité, la vraie». Fauste 
                        de Riez considère comme des miracles réalisés par Honorat 
                        le fait qu'il a, par sa foi, écarté le poison des bêtes 
                        venimeuses : l'île de Lérins était alors infestée de serpents. 
                        Et, non seulement, affirme Fauste, «il a marché sur l'aspic 
                        et le basilic, mais il a restauré chez beaucoup d'hommes 
                        l'image, peut-être déjà perdue, du Christ. Tantôt il changeait 
                        des bêtes sauvages en hommes, tantôt il changeait des 
                        hommes, pour ainsi dire, en anges». Car Honorat a mené 
                        un combat spirituel pour tuer les vices qui existent en 
                        l'homme. Et Fauste de poursuivre. «Celui dont je dois 
                        faire l'éloge mettait en fuite des esprit malins qui se 
                        tenaient cachés, non pas dans le corps, mais dans l'esprit 
                        et le cœur ... Il a ramené à la vie des cadavres qui ne 
                        possédaient plus ni esprit, ni âme ... S'il n'a pas redonné 
                        la vie fragile d'ici-bas, il a fait davantage en montrant 
                        le chemin de la vie éternelle. Fauste compare une fois 
                        de plus Honorat à Moïse. Car, tel Moïse dans le désert, 
                        Honorat sur son île désertique n'avait pas d'eau. Etant 
                        un bon sourcier, «il a fait jaillir du rocher aride une 
                        source d'eau douce, non seulement au milieu du désert, 
                        mais au milieu de la mer». En effet, sans eau, toute vie 
                        humaine eût été impossible à Lérins. Au début, les pêcheurs 
                        apportaient à Caprais et à Honorat l'eau du continent. 
                        Mais comment vivre nombreux sur cette île sans le miracle 
                        accordé par Dieu à St Honorat ? L'image de St Honorat 
                        que nous conserverons dans nos mémoires, est celle d'un 
                        pasteur doux et bienveillant, priant sans cesse pour son 
                        troupeau afin qu'aucune des brebis qui lui avaient été 
                        confiées par le Seigneur ne se perde ou ne s'égare. Si 
                        Honorat était tant aimé par tous ses moines, s'ils lui 
                        obéissaient si bien, c'est parce que lui-même savait être 
                        tout pour tous. Aussi rare était la discorde dans ce troupeau. 
                        Et pourquoi ne pas lui adresser cette belle prière composée 
                        par Hilaire ? «Souviens-toi donc, toi qui es l'ami de 
                        Dieu, souviens-toi sans cesse de nous, toi qui te trouves 
                        si pur auprès de Dieu, chantant le "cantique nouveau" 
                        et suivant l'Agneau partout où il va. Toi qui marches 
                        à sa suite, toi notre saint protecteur, l'interprète agréé 
                        de nos prières et notre solide défenseur, transmets-lui 
                        les supplications répandues auprès de ton tombeau par 
                        le troupeau de tes disciples. Obtiens que, dans une aspiration 
                        commune, nous méritions de respecter tes ordres et tes 
                        enseignements». Marie 
                        Borrély (tiré de la revue 
                        "Orthodoxes à Marseille" N° 66 et 67) 
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