150e
anniversaire de la paroisse de Kihnu
le
25 septembre 2011
Luc 5, 1-11 : la pêche miraculeuse
Chers
Frères et Soeurs en Christ,
C'est avec un immense plaisir que nous nous retrouvons tous
ici à l'occasion du cent cinquantième anniversaire de votre
congrégation et c'est avec la plus grande joie que nous allons
prier ensemble et louer Dieu pour toutes ses merveilles au cours
de cette divine liturgie synodale.
Une liturgie synodale est toujours un évènement parce qu'en
la personne de tous les évêques de l'Eglise locale, elle manifeste
l'unité de tout le peuple de Dieu. L'unité de foi en premier,
l'unité de tout le corps ecclésial ensuite. L'une dans l'autre
et l'une avec l'autre, en parfaite union et totalea communion
avec l'Eglise de Dieu répandue dans tout l'univers.
C'est ce perpétuel miracle de l'Eglise dans le monde que, de
génération en génération, vous avez préservé intact sur cette
île avec fidélité et confiance. Nous, vos évêques, nous avons
voulu par notre présence ici vous manifester notre reconnaissance
et notre admiration. Puisse chaque famille de cette île recevoir
de notre Dieu très bon et ami des hommes toutes les grâces qui
lui reviennent ; puisse chaque famille bénéficier du soutien
et de la protection de notre Père tout-puissant qui est dans
les cieux ; puisse Saint Nicolas, votre saint patron et protecteur,
intercéder sans cesse pour vous auprès du Très-Haut et vous
apporter concours et assistance à chaque instant de votre existence.
De façon tout-à-fait étonnante, la lecture évangélique de ce
jour nous dépeint, comme dans un tableau, ce que peut être la
vie sur une île, marquée par le dur combat contre les flots
déchaînés et les aléas de la pêche en haute mer.
Moi-même je suis né et j'ai vécu toute ma jeunesse dans un pays
montagneux, avec des volcans en activité et des grands lacs.
Je garde dans ma mémoire ces instants terribles de tornades
qui se levaient subitement avec une brutalité étonnante, alors
que personne ne s'y attendait, tout comme ces moments de désespoir
des familles, quand un des leurs était emporté par les flots
sauvages où que les filets remontaient vides après des heures
et des heures d'attente sur de très étroites pirogues, lesquelles
pouvaient se retourner aussi bien au moindre geste brutal qu'au
moindre coup de bourrasque imprévisible, qui venait frapper
de côté le frêle esquif.
Ce désespoir, je le retrouve chez Pierre, dans ce texte de l'évangile
que nous venons de lire quand Jésus lui demande d'avancer en
pleine eau pour y jeter ses filets (Luc 5/4). Pierre a sa fierté
d'homme. Il est revenu bredouille. Toutes et tous vous savez
mieux que moi combien pénible est le retour d'un père, d'un
mari, d'un fils lorsqu'ils rentrent au port les mains vides.
Et voilà que lui, le marin qualifié, le patron pêcheur qui connait
si bien son métier, reçoit cet ordre de ce prédicateur qui ne
sait rien de la pêche. Une pêche qui plus est, s'effectue sur
ce lac, riche en surprises de toutes sortes, la nuit et non
en plein jour ! Et puis, les filets viennent d'être lavés pour
la nuit prochaine.
Va-t-il courir un tel risque, va-t-il se couvrir de ridicule
devant ses compagnons en allant au large ? Pierre fait vite,
dans sa tête, le tour de la situation : un petit lac, un petit
port tout juste suffisant pour accueillir quelques barques,
une poignée de rudes pêcheurs dépités de n'avoir rien pris,
un jeune prédicateur dont il fit la connaissance lorsqu'il lui
guérit sa belle-mère : "avance en pleine eau et jetez vos
filets pour pêcher". Le coeur de Pierre est profondément
atteint, aussi subitement que si une tornade avait surgi en
lui. Soit, puisqu'il y a défi, il va le relever : "Maître,
répond-il, nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre
; mais sur ta parole, je jetterai le filet" (Luc 5,4-7).
Je vous l'ai déjà dit : lui, l'impulsif, a sa fierté d'homme.
Ah, ce merveilleux texte qui fait de la confiance en Jésus un
antidote aussi bien contre le découragement que contre tout
désespoir ! Luc donne ici à Pierre un avertissement salutaire
: sans Jésus, les filets reviendront vides. Et en même temps
il nous montre aussi à nous ce que nous pouvons réaliser quant
nous faisons confiance à Jésus. Le plus remarquable dans ce
récit, c'est le fait que la démarche de l'Evangéliste choisit
ce qui pouvait le plus impressionner Pierre et ses compaqgnons
: leur métier. Et il les prend à rebrousse-poil. Un fils de
charpentier donne des conseils à des professionnels de la pêche
et à des hommes complètement épuisés par toute une nuit d'efforts
inutiles. "Sur ta parole, je jetterai le filet. L'ayant
jeté, ils prirent une grande quantité de poissons, lisons-nous
dans le texte, et leur filet se rompait" (Luc 5,6).
Alors Pierre, conscient de la distance qui le sépare de Jésus,
"tombe à ses pieds et dit : retire-toi de moi, parce que
je suis un homme pécheur" (Luc 5,8). Et c'est à cet homme
pécheur que Jésus fait la promesse de ramener des hommes dans
ses filets :"Ne crains point : désormais, lui annonce-t-il,
tu seras pêcheur d'hommes"(Luc 5,11).
Quelle scène extraordinaire : Pierre, en sortant de l'eau ses
filets pleins à craquer, ne sait pas encore que pour lui va
commencer une autre aventure, son aventure personnelle dans
ce qui sera le début de l'aventure de l'Eglise, dont Luc est
l'évangéliste. Une aventure unique en son genre, qui fera de
lui et de ceux qui le suivirent dans sa démarche, des pêcheurs
d'un type nouveau, des pêcheurs non plus de poissons mais d'hommes
puisque manifestement, dans cet épisode évangélique, Pierre
n'est pas seul, d'autres sont appelés en renfort tant la pêche
est surprenante (Luc 5/7-8).
Pierre a fait sienne l'exhortation du Seigneur, il a tiré énergiquement
sur sa rame pour aller installer son filet au plus profond du
lac. Et tandis qu'il se pliait ainsi à la volonté de Jésus,
sans même le chercher, sans même l'attendre, il devint malgré
lui et à son insu l'élu et plus tard l'Apôtre qui, rempli de
l'Esprit Saint, annoncera la Bonne Nouvelle du salut non pas
seulement à Jérusalem mais dans tout l'Univers.
"Ce n'est pas, en effet, écrira-t-il plus tard dans sa
seconde lettre (2Pierre 1,16), en suivant des fables habilement
conçues, que nous avons fait connaître la puissance et l'avènement
de notre Seigneur Jésus-Christ, mais c'est comme ayant vu sa
majesté de nos propres yeux".
Ce qui concerne Pierre, nous concerne nous aussi, surtout vous
concerne vous. Ce n'est pas fortuit que la figure de Pierre
se trouve en bonne place dans votre Eglise car il fait vraiment
partie de chacune de vos familles, lui qui, par son métier,
a vécu, tout comme vous, du bon vouloir de la mer. L'Apôtre
Pierre est sans aucun doute un membre à part entière de cette
île. Un authentique citoyen de Kihnu.
Et ce que nous dit l'évangile de ce jour à son sujet, pourrait
sans conteste être dit pour chacune et chacun d'entre vous :
d'abord le découragement, le désespoir même quand l'épreuve
devient trop lourde, puis, pour avoir trouvé Dieu, l'espérance
et enfin de l'espérance à la possibilité de faire face de façon
concrète et dynamique aux problèmes humains qui font le lot
quotidien de l'existence.
De toute évidence, le but de toute vie humaine, ce n'est pas
de devenir riche sur cette terre, ni d'acquérir des titres d'honneur,
ni de vivre faussement en déplaçant les problèmes d'un lieu
à un autre sans jamais les affronter. Le but pour lequel nous
sommes venus au monde, c'est de chercher et de trouver Dieu
et de nous unir à Lui.
Tout comme le poisson a été mis dans l'eau pour nager et l'oiseau
dans l'air pour voler, ainsi nous aussi nous avons été mis sur
cette terre pour vivre avec Dieu, pour L'aimer, pour que notre
esprit et nos pensées tournent inlassablement autour de Lui
et en Lui, comme les gonds sur lesquels pivote le battant de
la fenêtre.
Le cri de désespoir qui est sorti ce matin du coeur et de la
bouche de Pierre, nous devons le comprendre, aussi paradoxal
soit-il à première vue, comme un acte spirituel authentique
parce qu'il exprime un dépassement dynamique de toute faiblesse
humaine et qu'il marque un pas décisif pour aller à la rencontre
du Dieu Tout-Puissant.
Ce cri, il n'y a pas que Pierre qui l'a poussé. Des saints aussi
ont laissé éclater leur désespoir devant l'aversion du monde,
et tout comme l'Apôtre, ils ont pris la décision de déployer
les antennes de leur existence en direction de Dieu, pour Lui
confier tout l'espace intérieur de leur être.
Par là, nous comprenons que le passage du désespoir vers l'espérance,
face à l'adversité qui frappe l'homme, n'est pas qu'une simple
théorie. Ce n'est pas une parole qui est écrite dans le seul
but de consoler et de restaurer le moral détruit de l'homme.
C'est au contraire une histoire nouvelle bien réelle que l'homme
s'adjuge pour lui-même, lorsqu'il délaisse son ego et qu'il
s'abandonne totalement et avec confiance dans les mains de Dieu.
En un mot c'est entrer dans la seule vraie vie qui vaille la
peine d'être vécue, celle en Dieu. Une vie qu'il nous est donné
de goûter et de partager autour de nous avec émotion et des
larmes de joie.
Mes bien-aimés,
Après un siècle et demi de présence orthodoxe ininterrompue
sur cette île, je vois votre paroisse comme un beau jardin,
dont chacune et chacun d'entre vous constituent une fleur aux
riches couleurs et aux senteurs inégalables et je me dis que
cela n'aurait pas été possible sans des racines profondes.
Ces racines existent dans vos familles, auprès de vos parents,
à l'école, chez vos enseignants, dans vos traditions locales,
dans tout ce qu'à préservé de sain la société de Kihnu et par-dessus
tout dans tout ce que vous a légué notre sainte Foi orthodoxe.
Tout cela est bon et très remarquable pour une petite communauté
comme la vôtre.
Puisse celui qui viendra bien plus tard après moi, dans cent
cinquante ans, pouvoir vous dire la même chose, avec la même
gratitude et le même enthousiasme.
Mais pour qu'il en soit ainsi, une belle et noble tâche vous
attend, aussi lourde d'importance que celle que Jésus confia
à Pierre et aux siens dans le passage évangélique de ce jour.
Non pas vous contenter seulement de transmettre aux futures
générations ce qui est votre trésor d'aujourd'hui mais surtout,
principalement leur parler de votre foi, leur dire inlassablement
votre foi, jour après jour, et aussi que toute notre vie est
fondée sur l'espérance après la mort puisque le Christ est ressuscité
et que tout, le ciel, la terre et même l'enfer, sont désormais
rempli de sa lumière.
Alors vous aussi vous lesterez vos filets, non pas avec du plomb
mais avec les paroles de l'Evangile et comme l'Apôtre Pierre,
vous deviendrez des pêcheurs d'hommes. Amen.
Métropolite
Stephanos de Tallinn et de toute l'Estonie
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